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Des rayons gamma contre les insectes et pour désinfecter

Traitement du patrimoine par irradiation gamma
Ces trois apôtres et les deux anges qui les accompagnent sont certainement surpris de voir leurs statuettes irradiées par un flux intense de rayons gamma. Mais cette irradiation pour leur bien vise à les débarrasser des insectes xylophages qui se nourrissent du bois qui les compose …. Statuettes d’apôtres et anges en bois polychromé, XVIIème, commune de Le Pègue (Drôme).
© C. Albino/Arc-NUCLEART

L’irradiation par des rayonnements ionisants constitue de nos jours la technique de désinfection des matériaux pour laquelle les professionnels des services sanitaires accordent le plus leur confiance, que cela concerne les domaines de la stérilisation médicale, pharmaceutique, parapharmaceutique (cosmétiques), la conservation agroalimentaire ou encore les services de contrôle des imports/exports. Depuis les insectes ravageurs jusqu’aux bactéries pathogènes, en passant par les champignons saprophytes ou les moisissures, la méthode a largement prouvé son efficacité et sa fiabilité (NB : un saprophyte est un organisme végétal, fongique ou bactérien capable de se nourrir de matière organique non vivante. Il peut provoquer la décomposition de cette matière en libérant des enzymes digestives). Cela est d’autant plus vrai dans le cas des rayonnements gamma, les plus pénétrants parmi les rayonnements ionisants, pour lesquels il est facile de s’assurer que les conditions physiques conduisant à la mort de l’espèce visée sont atteintes, même au travers d’objets emballés et conditionnés.

La désinsectisation et la désinfection par irradiation sont aussi utilisées avec succès depuis quarante ans par l’atelier Arc-Nucleart dans le domaine du patrimoine. Du mobilier de particulier aux collections prestigieuses des musées nationaux, ce sont plusieurs milliers de mètres cube d’objets qui ont subi ces traitements. Parmi les avantages de cette méthode, il y a bien sûr le fait de traiter en masse, sans contact, sans utilisation de produits d’aucune sorte, chimiques ou autre, et donc sans aucune rémanence. Le fait de traiter au travers même l’emballage et/ou le conditionnement évite les manipulations directes répétées et les risques d’endommagement.

Comparé aux techniques concurrentes (traitements chimiques par fumigation, injection ou application de surface, traitements physiques par anoxie, micro-ondes, froid, UV …), le retour d’expérience est très positif, tant d’un point de vue de l’efficacité et de la fiabilité, que de l’innocuité vis-à-vis des objets et de la sécurité des personnes qui doivent manipuler ces objets une fois traités ou lors de leur présentation au public.

La dose de rayonnement nécessaire au traitement varie selon les espèces ciblées. Elle est de 500 Gy (Grays) minimum pour les traitements insecticides et doit être adaptée et peut atteindre jusqu’à 10000 Gy (10 kGy) pour les traitements fongicides. Suivant la géométrie et la densité des objets, il faut tenir compte aussi d’un facteur de surdosage entre les parties les plus et les moins exposées de l’objet (un facteur typique de 1,5 à 2). Ces grandeurs sont à comparer à 4 Gy pour la dose létale chez l’humain.

Le choix d’une méthode ou une autre de désinsectisation ou de désinfection doit être envisagé globalement en fonction des avantages, désavantages et compatibilités de chaque technique. En pratique, ce sont la fiabilité et l’efficacité qui justifient les traitements gamma, en particulier lorsqu’il s’agit de traitement de masse ou d’objet volumique et/ou conditionnés.

Ce traitement par irradiation est donc très adapté à la désinsectisation de mobilier, statuaire, objets ethnographiques, spécimens naturalisés, momies et autres objets du patrimoine en matière organique. Il n’est par contre pas justifié a priori pour la désinsectisation d’objets sans volume si ceux-ci peuvent être traités isolément. ….

Momie de Ramsès II
Le traitement par irradiation gamma le plus célèbre est celui de la momie du pharaon Ramsès II. La momie était infestée de larves et de champignons. Son irradiation fut précédée de nombreux essais, en particulier sur d’autres momies, pour vérifier son innocuité. L’opération finale eut lieu en 1977 à Saclay. A l’issue de l’irradiation, le retour de la momie et de son sarcophage au musée du Caire fût réalisé dans une bulle stérile. Depuis, la stérilité est assurée par un caisson en plexiglass aménagé avec des filtres submicroniques pour permettre la ventilation sans prendre le risque d’une ré-infestation par des spores de champignons qui pourraient se déposer sur la momie.
© Arc Nucléart

Quant aux espèces fongiques (champignons), il existe à ce jour peu ou pas de techniques alternatives présentant des garanties similaires tant pour l’innocuité que pour l’efficacité et la fiabilité du traitement. On pourra mener une désinfection gamma si l’enjeu de conservation le nécessite. C’est par exemple le cas lorsque l’on n’est pas capable de maîtriser la prolifération de ces espèces et les effets dévastateurs associés au climat, ou si le niveau atteint est tel qu’il fait courir de grands dangers à la collection et/ou aux personnes en charge de celle-ci.

Il faudra absolument se souvenir que l’action de ce type de traitement est uniquement curative, ce qui réclame que soient prises par ailleurs des mesures préventives fortes. C’est la raison pour laquelle, pour une grande majorité des objets du patrimoine, ces traitements de désinfection (fongicides) restent marginaux, du fait que la maitrise du climat est le plus souvent suffisante pour contrôler les contaminations en cours (tant que celles-ci restent à un niveau contenu), et quoiqu’il en soit nécessaire même après traitement curatif pour éviter une recolonisation inévitable du fait de la charge normale en spores dans l’atmosphère.

… Suivant la dose, ces traitements peuvent induire des effets sur certaines classes de matériaux “sensibles” (pour ces matériaux, on se méfiera aussi du cumul de dose que des opérations répétées de désinsectisation ou de désinfection pourraient engendrer).

Compatibilité des matériaux

La notion de compatibilité des matériaux est étroitement liée à la dose.

La première classe de matériaux dits sensibles est constituée des matériaux transparents ou présentant une certaine translucidité, matériaux ne méritant pas ou rarement une désinsectisation ou une désinfection par eux mêmes, mais qui sont susceptibles de se trouver en association avec des matériaux organiques qui eux le nécessiteraient. En effet, la plupart de ces matériaux (verre, cristaux, gemmes transparentes ou translucides, plastiques transparents …) ont tendance à s’opacifier ou à se teinter sous l’action du rayonnement gamma et ce dès les doses de désinsectisation de l’ordre du kGy (ces variations d’apparence optique sont cependant souvent réversibles, au moins en partie). Sauf matériaux spécifique, la règle est donc d’éviter de les irradier. D’autres matériaux moins translucides comme le marbre, la nacre blanche, l’ivoire, l’os, la corne et les écailles peuvent présenter aussi un jaunissement perceptible aux doses de désinfection de l’ordre de la dizaine de kGy, mais quasiment invisible à des doses de désinsectisation.

La seconde classe concerne des matériaux sensibles mécaniquement. Par exemple, pour le papier, il a été noté une diminution du degré de polymérisation de la cellulose à des doses de désinfection. De manière similaire, on relève un début d’altération de la structure pour le cuir à des doses à peine plus élevées. Il est à noter cependant qu’aucune de ces modifications structurelles n’a été observée aux doses de désinsectisation, et qu’aux doses de désinfection, elles ne se traduisent en aucun cas par une détérioration de leurs propriétés macroscopiques. Devant le peu d’alternative, le traitement de documents graphiques ou d’archives est aujourd’hui pratiqué même à des doses de désinfection, suivant l’enjeu de conservation.

Bien que peu d’études dédiées n’aient à ce jour concerné les textiles, leur comportement pourra être comparé à celui du cuir pour les matières protidiques (origine animale, soie, laine…) et à celui du papier pour les matières cellulosiques (origine végétale, coton, lin…). On pourra ajouter à cette liste les peaux, poils et plumes. Le traitement de désinsectisation gamma de tous ces derniers matériaux est courant à ARC-Nucléart et n’a jamais posé de problème. Un éventuel traitement de désinfection jusqu’à 10 kGy peut lui aussi être envisagé, suivant l’enjeu de conservation, mais doit être dûment justifié.

Enfin, en France, il n’est pas non plus d’usage de traiter par ces méthodes utilisant le rayonnement gamma la peinture dite de chevalet. Nous précisons cependant que les nombreuses études dans le domaine ont toujours démontré que le rayonnement gamma n’engendrait aucune altération sur les polychromies même aux doses de désinfections. Le traitement des statues polychromes est quant à lui largement accepté et il est pratiqué extrêmement couramment en France et dans différents pays.

Laurent CortellaResponsable des installations et opérations d’irradiation à ARC-Nucléart