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Sensibilité de l’ADN des cellules du vivant aux radiations

Si l’on continue de savoir peu de choses des effets sur les êtres humains des faibles doses de radiations, les radiobiologistes ont beaucoup progressé à l’échelle élémentaire, dans leurs connaissances des effets sur l’ADN des cellules de la matière vivante.

Depuis une dizaine d’années, on a mis en évidence la sensibilité de l’ADN aux faibles doses de rayonnements. Ainsi la technique d’immunofluorescence – dite des “foci γH2AX” – permet de visualiser des altérations de l’ADN – les cassures double-brin (CDB) – au dessus d’une dose de 1 milligray  (mGy), limite cent fois plus basse que précédemment. La technique d’immunofluorescence est utilisée depuis une cinquantaine d’années, notamment dans le cadre diagnostic. Cette technique de routine permet par des examens au microscope de compter des “taches” ou “foci” que les spécialistes relient assez précisément avec les cassures de l’ADN. On a renouvelé ainsi l’évaluation des mécanismes cellulaires fondamentaux impliqués dans la radiosensibilité individuelle comme le contrôle du cycle cellulaire, de la signalisation et de la réparation des lésions de l’ADN.

L’Autorité de Sûreté Nucléaire, gendarme de la radioprotection, a présenté les résultats d’une étude des cassures double brin de l’ADN (foci γH2AX) à partir de cellules d’épithélium mammaire exposées aux rayonnements ionisants lors de mammographies (2 mGy par incidence). Ces cellules ont été prélevées sur des patientes ayant un historique personnel ou familial de cancer du sein ou n’en ayant pas. Cette étude par immunofluorescence confirme que nous ne sommes pas égaux devant les rayonnements ionisants. On observe déjà, en l’absence d’exposition, davantage d’altérations (foci) pour les patientes ayant un historique de cancers. L’augmentation de ces altérations à la suite d’une exposition met en évidence une radiosensibilité individuelle sur ces cellules d’épithélium mammaire des patientes.

Inégalité de la sensibilité de l’ADN aux radiations
La figure compare la répartition des “foci” de l’ADN des cellules de femmes ayant un risque héréditaire faible ou élevé de cancer du sein. En l’absence de rayonnements (à gauche), la population de cellules présentant le plus de foci (en rouge) est plus nombreuse pour les femmes à haut risque. Au milieu et à droite, cette population s’accroit pour une dose de 2 mGy équivalente d’un cliché de mammographie) et et pour deux irradiations répétées à 3 minutes d’intervalle (2+2 mGy). On observe que les patientes à héritage familial sont les plus radiosensibles.
© ASN – M. Bourguignon

La radiosensibilité des cellules observées aux faibles doses est un argument en faveur de l’hypothèse que les faibles doses présenteraient un risque. Cependant, de multiples facteurs, des mécanismes de contrôle et de réparation constituent des obstacles à franchir sur le chemin qui mène des altérations et dommages de l’ADN à l’apparition de cancers ou d’effets héréditaires.

Les atteintes “spontanées” de l’ADN apparaissent sans arrêt dans nos cellules en grand nombre ; de 3 à 10 000 cassures simple brin et de 2 à 8 cassures double brins par jour et par cellule en temps normal. Les rayonnements ne sont qu’une cause parmi d’autres.

Lorsque apparaît une lésion de l’ADN, les voies « normales » conduisent soit à la réparation fidèle, soit directement à la mort de la cellule soit enfin dans un petit minorité de cas à une réparation fautive. La radiosensibilité de l’ADN aux faibles doses de rayonnements ionisants va se manifeste par une augmentation de la mort de cellules exposées ainsi que du nombre de cassures de l’ADN non réparées et des défauts de réparation tardifs.

Parmi les cellules non réparées, la grande majorité aboutit à une apoptose, une mort cellulaire, auquel cas l’anomalie s’arrête avec la mort de la cellule. La réparation elle-même peut apparaître avec des délais variés selon l’importance des lésions. La grande majorité est réparée dans des délais autorisant la survie de la cellule (de quelques heures à un jour ou deux).

Une réparation fautive peut être soit mortelle (apoptose à nouveau), soit viable mais stérile sans possibilité de descendance, soit enfin viable et potentiellement cancéreuse. C’est au sein du petit nombre de réparations fautives que peut apparaître la cellule immortelle et cancéreuse.

Devenir d’une cellule lésée
Mais pour conduire à un cancer, la cellule déviante doit aussi échapper au contrôle micro-tissulaire par les cellules voisines, puis au contrôle immunitaire de l’organisme. La destruction finale de toute cellule déviante étant beaucoup plus probable que sa survie. C’est uniquement en cas de réparation fautive viable et de la survie à tous les contrôles environnants que peut naître une tumeur.
© GR21

En dernier lieu, une cellule déviante, potentiellement cancéreuse, doit survivre aux contrôles micro-tissulaire exercés par les cellules voisines, au contrôle immunitaire de l’organisme et à la mise en route des mécanismes anti-prolifération. En raison de ces efficaces contrôles de la nature, la destruction finale d’une cellule déviante est heureusement beaucoup plus probable que sa survie.

C’est uniquement en cas de réparation fautive viable et d’inefficacité des contrôles environnants que peut naître une tumeur. Le processus est complexe. Par exemple si à faible dose, les lésions de l’ADN ne sont pas signalées, elles ne seront pas réparées et conduiront à la mort de la cellule. Il n’y aura pas alors de réparation fautive et risque de cellule déviante.

Aux yeux de l’Autorité de Sûreté, la radiosensibilité individuelle pose une question de santé publique vis-à-vis des expositions médicales dont l’utilisation est en pleine croissance. Il convient donc de maîtriser la progression des doses médicales en appliquant strictement les principes de justification et d’optimisation.

Sources :
– La radiosensibilité individuelle : contexte et enjeux par Michel Bourguignon, Revue Contrôle N°197, p 49
– Effets des faibles doses d’irradiation, dossier GR21, Yvon Grall