Irradiés d’Hiroshima et Nagasaki
Un excès de cancers et de leucémies parmi les survivants
Nos connaissances sur la nature des risques cancérigènes des radiations sont largement fondées sur le suivi de 120 321 survivants d’Hiroshima et de Nagasaki. Pour 86720 d’entre eux, l’exposition individuelle a été reconstituée. Moins de 3% ont reçu une exposition de 1 Gray (Gy) ou plus, et 90 % ont reçu moins de 100 mGy (0,1 Gy) Ces malheureuses populations constituent la principale « cohorte » dont on dispose pour évaluer, de façon statistique et sur une longue période, les effets d’une forte irradiation.
Pour prévoir les conséquences d’expositions à des doses moyennes et faibles de radioactivité, les experts font l’hypothèse que les effets sont en proportion de l’exposition subie. Par exemple, il s’agira d’évaluer le nombre de cancers à venir au sein d’une population exposée étant donné le nombre de millisieverts reçus en moyenne par habitant. Ce sont les résultats des études de Hiroshima et de Nagasaki qui dans une large mesure permettent de faire ces estimations.
Il faut pouvoir observer les effets de l’irradiation sur une population importante, car pour des doses moyennes ou faibles il devient impossible d’attribuer un décès individuel à la radioactivité.
Enfin, une longue période d’observation est nécessaire car contrairement aux idées reçues, même une très forte exposition aux rayonnements ne tue pas instantanément. Citons l’exemple des deux victimes de l’accident de Tokaï-Mura qui survécurent plusieurs mois à une dose mortelle.
Dans le cas des conséquences sanitaires de l’accident de Tchernobyl, des études très approfondies ont été effectuées ou sont en cours. Toutefois le recul du temps – 30 ans – reste insuffisant et la dispersion du groupe des personnes les plus exposées (les « liquidateurs de Tchernobyl ») rend difficile le suivi médical.
Tout ceci fait que les données sur l’homme sont – heureusement – rares et qu’il faille, près de soixante ans après les bombes larguées sur Hiroshima et Nagasaki, s’appuyer largement sur les données recueillies auprès des habitants de ces deux villes qui ont survécu. À ces dizaines de milliers d’irradiés, il faut ajouter quelques centaines de travailleurs de la médecine et du nucléaire irradiés à des doses élevées lors d’accidents.
Les radioéléments naturels (radium, thorium) ayant été utilisés depuis le début du XXe siècle, on dispose d’un long recul pour évaluer leurs effets cancérigènes. Maurice Tubiana, qui fut président honoraire de l’Académie de Médecine et un des pionniers de l’usage des isotopes radioactifs, citait à ce propos quelques « cohortes » intéressantes : A) Les quelques milliers d’ouvriers et d’ouvrières contaminés dans les années 1920 pour avoir peint des cadrans lumineux au radium et qui ont été minutieusement suivis ; B) Les sujets ayant reçu du thorotrast (un composé à base de thorium) comme agent de contraste en radiologie vasculaire ; C) Les mineurs des mines d’uranium qui ont respiré jusque dans les années 1950 un air riche en radon et pour lesquels une augmentation des cancers du poumon fut constatée.
Parmi les survivants d’Hiroshima et Nagasaki, le nombre de décès provoqués par l’irradiation est obtenu par comparaison avec une population témoin non exposée. Par exemple, entre 1950 et 1990, parmi les 120 321 survivants 7578 personnes sont mortes de cancers « solides » alors que le nombre de décès attendus pour une population de même taille est de 7244. A cet excédent de 334 cancers solides (apparus environ 5 à 10 ans après le bombardement), il faut ajouter 87 leucémies, apparues deux ans après et culminant 6 à 8 ans après l’explosion.
Cet excédent reste cependant modeste en regard des 7244 cancers naturels de la population témoin et des 240 000 morts des explosions proprement dites. Pour les irradiés de Hiroshima et de Nagasaki exposés à des doses de plusieurs centaines de millisieverts, l’augmentation sur quarante ans des cancers mortels n’est que de 4,6 % par rapport aux causes naturelles.
Ces excédents modestes expliquent pourquoi il devient pratiquement impossible, d’estimer les effets des expositions plus faibles : pour une irradiation équivalente au dixième de celle des irradiés japonais, l’augmentation calculée des cancers serait de 33 sur total de près de 7000, un excès trop marginal pour être décelable.
NB : Ces 334 cancers et 87 leucémies en excédent semblent bien minimes par rapport aux dizaines de milliers de victimes des deux bombes ! Ceci est dû à ce que la plupart de ces victimes ont été tuées du fait de l’onde de choc, de la boule de feu, puis des des brûlures bien avant que les radiations aient pu faire leurs effets.
Des questions demeurent. Comment ce nombre a-t-il été obtenu ? N’est-il pas sous-évalué ? Par ailleurs, comment est définie à partir de 1950, la cohorte des survivants, habitants d’Hiroshima et de Nagasaki, ou des environs ? Comment sont évaluées les doses à posteriori ?
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