Découverte du neutron
Un tournant
Par Alain Bouquet
La découverte du neutron par Chadwick en 1932 marqua un tournant dans l’histoire de la physique nucléaire. Avant, les physiciens disposaient d’un éventail de modèles qualitatifs, empiriques et souvent contradictoires. Après, les progrès furent fulgurants et ils disposèrent en quelques années à peine d’une théorie des interactions nucléaires. Les découvertes se succédèrent rapidement : radioactivité « artificielle », activation neutronique, résonances, fission…
Une hypothèse de Rutherford
Après avoir établi l’existence du noyau atomique, Rutherford mena plusieurs expériences de collision de particules alpha sur différents noyaux. Il découvrit ainsi que des noyaux d’hydrogène (qu’il baptisa protons) étaient éjectés de noyaux d’azote. Cette observation, répétée pour d’autres noyaux et jointe à celle de l’éjection de noyaux d’hélium dans la radioactivité alpha et d’électrons dans la radioactivité bêta, le conduisit à supposer que tous les noyaux étaient des assemblages de protons et d’électrons, en nombre variable. Lors d’une conférence consacrée en 1920 à la structure des noyaux, Rutherford suggéra l’existence de sous-structures dans les noyaux, en particulier des alphas qu’il imaginait formés de 4 protons et 2 électrons, et il évoqua la possibilité d’un assemblage particulièrement étroit d’un proton et d’un électron, formant une particule neutre très pénétrante. Son existence aurait permis d’expliquer la formation de tous les noyaux par fusion à partir de l’hydrogène malgré la répulsion électrostatique.
Cette particule fut activement recherchée au cours des années 1920 au laboratoire Cavendish de Cambridge par Rutherford et ses collaborateurs, en particulier James Chadwick, mais sans succès. Les modèles de noyaux formés de protons et d’électrons se heurtaient cependant de plus en plus aux observations, et ils se révélèrent incompatibles avec la toute neuve mécanique quantique.
Physique expérimentale
La technique expérimentale de cette époque en physique nucléaire suivait l’exemple donné par Rutherford : envoyer des projectiles sur une cible et observer ce qui en résultait. En l’absence d’accélérateurs de particules, les sources de projectiles se limitaient alors aux corps naturellement radioactifs, en particulier le radium et ses produits de désintégration comme le radon et le polonium. Le polonium était la source préférée car il est fortement radioactif et n’émet que des alpha (α). Selon les objectifs des expériences, les cibles employées étaient des feuilles métalliques de béryllium, aluminium ou argent, des couches minces de paraffine riche en hydrogène, ou des enceintes remplies d’hydrogène, d’azote ou de gaz carbonique.
Les Britanniques utilisaient volontiers comme détecteur une chambre de Wilson, ou chambre à brouillard, permettant de visualiser les trajectoires des particules sortant de la collision et de les identifier. Les Allemands utilisaient fréquemment différentes versions du compteur Geiger, très sensible mais peu spécifique. Les Français gardaient une préférence pour la chambre d’ionisation, où l’intensité du courant permettait d’identifier la particule chargée traversant la chambre.
Bothe et Becker
À Berlin puis Giessen, Walter Bothe (1891-1957) étudiait depuis 1927 les émissions de g par des noyaux excités par bombardement d’α. Il se focalisait sur les éléments légers (lithium, béryllium, bore, fluor, magnésium, aluminium), car la barrière coulombienne freinant les α était dans ce cas plus basse.
Le montage expérimental était très simple, tenant sur un coin de table : une source de polonium de 5 mCi bombardait une cible par des α de 5.4 MeV. Un compteur Geiger à pointe était placé derrière une fenêtre épaisse qui arrêtait α et protons, mais laissait passer les γ qui provoquaient une impulsion électrique. L’énergie des γ était évaluée en mesurant la diminution du nombre d’impulsions quand des plaques de plomb étaient interposées.
Bothe et son étudiant Herbert Becker observèrent, comme prévu, un rayonnement pénétrant dont l’énergie était d’environ 5 MeV. Le cas du béryllium était cependant particulier car aucun proton n’était émis mais le flux de γ était beaucoup plus intense et leur énergie plus grande (« Les rayons γ radioactifs les plus durs constatés » dirent-ils dans leur article du 23 octobre 1930 Excitation Artificielle de Rayons γ Nucléaires). Lors de la conférence de Rome en octobre 1931, Bothe interpréta le cas du béryllium comme la formation d’un noyau excité de carbone 13 suivant la réaction :
Alain Bouquet
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