Réacteurs SMR
La voie des petits réacteurs modulaires
Le 4 mai 2018, l’Akademik Lomonosov quitte le port de Saint-Petersbourg. Véritable centrale nucléaire flottante, il emporte à son bord deux petits réacteurs KLT-40S de 52 MWe de puissance, du type de ceux utilisés pour les brise-glaces de l’Artique. Il devait après avoir dépassé la Norvège, se charger en combustible à Mourmansk, puis poursuivre sa route aux confins de l’extrême nord, pour atteindre la ville de Pevek dans la lointaine région autonome de Chukotka à l’extrémité de la Sibérie. Il s’agit d’y remplacer un vieux réacteur obsolète, fournir de l’électricité, dessaler l’eau de mer, et alimenter des plates-formes pétrolières.
Un « Tchernobyl flottant » s’émurent certains ! En réalité, les deux petits réacteurs KLT-40S sont de conception ancienne mais éprouvée. Le modèle équipe depuis 30 ans, les brise-glaces russes dans l’Arctique. Ils sont 20 fois moins puissants que les gros réacteurs à eau pressurisée REP actuels.
La centrale, composée des deux réacteurs nucléaires intégrés au navire Akademik, a été mise en service officiellement le 22 mai 2020 (Article de la RGN du 26 mai 2020 : Mise en service de la première centrale nucléaire Flottante en Russie)
Les atouts des petits réacteurs
L’Akademik Lomonosov est un exemple de l’intérêt que pourraient présenter à l’avenir de petits réacteurs. Aux Etats-Unis particulièrement on s’intéresse aux perspectives offertes par de petits réacteurs constitués de plusieurs unités ou modules. Ces petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactors ou SMR) y sont perçus comme une composante importante du parc nucléaire futur.
En effet, les réacteurs de forte puissance comme ceux de génération III demandent des investissements très lourds avec une construction très longue pouvant atteindre dix années, ou davantage. Les SMR au contraire devrait permettre d’engager des investissements plus faibles sur une durée plus courte. Il offriraient une puissance adaptée à la demande locale, pour fournir dans des zones isolées et sans réseau, comme dans l’exemple du grand nord de la Sibérie ou de l’Alaska.
Le projet NuScale, à l’avant-garde des SMR américains
Un des premiers projets est celui de la Société NuScale aux Etats-Unis qui a fait l’objet d’une demande de certification en 2017. Le projet bénéficie du soutien du DOE (Département de L’Energie). Il s’agirait de construire un ensemble de 600 MWe (douze modules de 50 MWe) sur le site du prestigieux Idaho National Laboratory (INL).
Dans la cuve du réacteur, le cœur et le générateur de vapeur sont superposés. La colonne d’eau chauffée dans le cœur monte puis se refroidit dans le générateur de vapeur et redescend froide à l’entrée du cœur. Ce processus s’effectue en convection naturelle, donc sans pompe primaire. L’arrivée d’eau froide pour le générateur de vapeur et la sortie de la vapeur sous pression vers la turbine sont disposées au-dessus de la cuve du réacteur, ainsi que le passage de barres de commande qui pilotent le cœur.
Ces petits modules offrent l’avantage d’une plus grande simplicité. Par exemple, lors d’un arrêt, ils permettent une évacuation passive de la puissance résiduelle, et ne nécessitent pas de circuits d’injection, etc.
Le concept d’un module n’est pas révolutionnaire et présente de fortes similitudes avec certains réacteurs de la propulsion navale où les générateurs de vapeur sont superposés au cœur en délivrant de manière très flexible la puissance nécessaire.
Sûreté : La petite taille du module avec un facteur vingt environ sur le cœur d’un EPR ou AP 1000, conduit à un certain nombre d’avantages en termes de sûreté comme l’évacuation de la puissance résiduelle qui se fait de manière passive, le module étant immergé dans sa piscine. Comme l’eau du circuit primaire ne sort pas de la cuve principale, il n’y a pas besoin de dispositifs d’injection de secours, pour pallier d’éventuelles fuites ou ruptures, ce qui simplifie notablement la conception. La circulation de cette eau se faisant en convection naturelle, les problèmes liés aux arrêts accidentels de pompe primaire sont aussi supprimés.
En cas d’accident, un réacteur de puissance faible, avec un système passif ne nécessitant pas ou un minimum d’intervention humaine est rassurant pour les riverains.
De multiples et précieuses possibles applications …
L’intérêt des petits réacteurs ne se limite pas à alimenter en électricité des sites isolés en Sibérie, Aslaka ou petites îles loin de tout. Voici quelques exemples d’applications :
– Dessalement de l’eau de mer et production d’eau douce : Les usines de dessalement utilisent actuellement des centrales thermiques pour générer de la chaleur. Les SMR, capables de produire de la chaleur et de l’électricité pourraient remplacer ces centrales thermiques pour le dessalement de l’eau de mer sans générer de gaz à effets de serre.
– Production d’hydrogène sans CO2 : L’hydrogène est considéré comme une source d’énergie du futur (par exemple pour les piles à combustible). Actuellement, la production d’hydrogène repose à 95 % sur le traitement d’hydrocarbures par des procédés fortement émetteurs de CO2. L’hydrogène pourrait être produit sans C02 à partir d’électricité, via l’électrolyse, ou de la chaleur par des processus catalytiques. Les SMR, sont à la fois sources d’électricité et de chaleur. Comme pour le dessalement de l’eau de mer, ils contribueraient au développement de la production d’un hydrogène propre.
– Chauffages urbains et industriels : La production de chaleur est l’un des principaux postes de consommation d’énergie. Obtenue généralement à partir des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) elle émet beaucoup de CO2. Les SMR, mini centrales nucléaires, sont des installations thermiques pouvant (aussi) produire de l’eau chaude ou de la vapeur. Ils pourraient alors être déployés en étant simplement branchés en remplacement des capacités existantes. pour alimenter les réseaux de chauffage urbain ou des sites industriels.
– Équilibrage et pilotage des réseaux électriques : Les énergies renouvelables non pilotables, tels le solaire ou l’éolien, sont intermittentes. Les SMR pourraient être un outil pour l’équilibrage d’un réseau électrique bas carbone quand les énergies renouvelables sont insuffisantes. En sens inverse, dans des périodes de faible demande d’électricité ou quand la production des renouvelables est élevée, ils seraient utilisés au chauffage urbain, à la désalinisation ou la production d’hydrogène.
Perspectives (2018)
Aux USA, la première et décisive étape sera l’acceptation ou non du projet, par la Nuclear Regulatory Commission (NRC) et les éventuelles améliorations suggérées. Des contacts et discussions positives ont déjà eu lieu. Seize rapports ont été déjà transmis à la NRC, dont une dizaine acceptés. NuScale qui bénéficie du soutien du Département de L’Énergie (DOE) devait obtenir sa certification vers 2020.
La deuxième étape serait la construction d’un prototype sur le site disponible de l’Idaho National Laboratory. Cette étape permettra de préciser les coûts et les plannings. Si le concept est certifié et s’il n’y a pas de retards, la date de 2022 est évoquée pour le lancement des travaux et celle de 2026 pour le début de l’exploitation. NuScale a choisi le Royaume-Uni comme tête de pont pour une implantation de SMR en Europe.
Les SMR intéressent aussi en dehors des États-Unis de nombreux pays. La France le gouvernement envisage le recours à ces petits réacteurs. à travers le projet NUWARD initié en 2019.
Comme son grand voisin du sud, le Canada nourrit des projets de SMR pour son immense territoire. Le pays y voit une solution pour remplacer les centrales vieillissantes au charbon de faible puissance, produire de l’électricité et de la chaleur pour l’extraction minière ou l’industrie lourde, remplacer les générateurs diesel fournissant du courant aux territoires isolés.
La Russie développe aussi des SMR généralement conçus pour être installés sur des barges flottantes. Sur une barge, le réacteur devient mobile et peut être déplacé au gré des besoins, par exemple si le site isolé voit son activité cesser. Une mobilité qui permet aussi de favoriser une installation dans un environnement contrôlé et adapté, tel un chantier naval, plutôt que sur un site isolé. Le concept des barges flottantes séduit aussi la Chine avec plusieurs projets. Par ailleurs, premier marché nucléaire au monde, la Chine développe plusieurs SMR à eau sous pression.
Non loin de là, le projet coréen SMART, démarré dès la fin des années 1990, est l’un des SMR précurseurs. Les Coréens sont déjà en discussion avec l’Arabie saoudite pour y construire deux réacteurs, notamment pour un usage de désalinisation.
Fin 2022, on décomptait près de 70 projets SMR de par le monde. Certains utilisent des technologies nouvelles. D’autres sont innovants. Leur puissance irait de moins d’une centaine à quelques centaines de mégawatts. Des puissances faibles seront gages d’un très bon niveau de sûreté. La simplicité de l’exploitation également.
Sources :
– NuScale, l’avant-garde des SMR américains, par Joël Guidez et Jean–Marc Capdevila – RGN Mars Avril 2017
– SMR le paradis des ingénieurs – Dossier de la RGN Juillet Août 2018
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