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Une commande franco-italienne à l’origine d’une pollution au ruthénium 106?

La pollution radioactive qui a survolé l’Europe fin septembre 2017 semble liée à un contrat passé avec centre nucléaire russe de Mayak, pour une expérience de physique fondamentale.

Officiellement, la Russie nie toujours être à l’origine de l’étrange pollution radioactive, par un nuage de ruthénium 106, qui a survolé l’Europe entre fin septembre et début octobre 2017. Mais les informations que s’est procurées Le Figaro permettent de reconstituer un scénario qui tourne l’ensemble des projecteurs vers la Russie et son grand centre nucléaire de Mayak.

Tous les éléments convergent vers un accident lors du retraitement de plusieurs tonnes de matières nucléaires hautement radioactives dans le sud de l’Oural.

Les autorités russes assurent qu’elles veulent faire la lumière sur l’origine de cette contamination très inhabituelle. Elles ont invité une délégation internationale d’experts scientifiques à Moscou le mercredi 31 janvier. À l’issue de cette réunion, les experts venus d’Allemagne, de Finlande, de France, de Norvège, de Suède et de Russie, ne se sont pas mis d’accord sur l’origine de la pollution. Mais le compte rendu exclut les hypothèses avancées par les Russes, avec la chute d’un satellite ou un accident médical. Ce rapport reconnaît tout de même qu’il ne peut s’agir que d’un accident de retraitement de quantités importantes de combustibles usés, encore fortement radioactives.

Or, côté russe, Mayak est pourtant «le» centre de référence pour ce type de traitements. Et d’après nos informations, ce centre effectuait ce type d’opérations en vue d’une expérience de physique nucléaire fondamentale, Borexino, dirigée par l’Italie et la France.

Le CEA et son homologue italien INFN avaient en effet la responsabilité de la fabrication d’une source radioactive très spéciale, en cérium 144. Elle était destinée à être placée près d’un grand détecteur de particules installé au Gran Sasso en Italie. Les deux instituts avaient obtenu en 2012 deux financements européens pour un montant total de 5 millions d’euros, au moyen de deux bourses du Conseil européen de la recherche (ERC). Le contrat pour la production de la source au cérium 144 a été passé avec le centre de retraitement nucléaire de Mayak. «À ma connaissance, le site de Mayak a été le seul qui a répondu à notre appel d’offres pour la source radioactive. Et c’est le seul site au monde qui était capable de la fabriquer», explique Thierry Lasserre, chercheur à l’Institut sur la recherche des lois fondamentales de l’Univers au CEA et responsable de la source radioactive pour le côté français.

«La source aurait dû être livrée à Gran Sasso au printemps 2018, être utilisée pendant dix-huit mois et ensuite retourner en Russie pour son entreposage final», précise le Pr Marco Pallavicini de l’Institut italien de physique nucléaire (INFN).

Simulation de l’IRSN détaillant les zones d’origine les plus probables.
© IRSN

«Coïncidence troublante»

La technique de fabrication de la source au cérium nécessite le retraitement de plusieurs tonnes de combustibles nucléaires. Mais pas n’importe lequel. « Nous avions besoin d’un combustible à retraiter de moins de cinq ans, pour obtenir une source très compacte, d’une vingtaine de grammes de cérium », ajoute Thierry Lasserre. Or, d’habitude, comme à La Hague, en France, on ne retraite les combustibles nucléaires qu’après plus de cinq années d’entreposage, quand ils sont moins radioactifs, et moins «chauds». Or les mesures de la pollution au ruthénium faites en France portent la «signature» d’un accident lors «d’un processus de retraitement d’un combustible usé assez jeune, de l’ordre de trois à quatre ans», précisait-on récemment à l’IRSN.

Dernier indice, les équipes russes de Mayak ont prévenu les commanditaires franco-italiens en décembre 2017, après la pollution au ruthénium, qu’ils ne pourraient pas fournir la source radioactive. Officiellement, «le processus de production n’avait pas permis d’atteindre le niveau d’activité requise», rapporte Marco Pallavicini. «La coïncidence temporelle est très troublante», assène un proche du dossier.

Olivier Lopez (Chargé de Recherches au CNRS/IN2P3, chercheur au Laboratoire de Physique Corpusculaire de Caen)

Source : Article du Figaro par Marc Cherki et Cyrille Vanlerberghe – 2 février 2018

– QUELQUES EXPLICATIONS : Pourquoi du ruthénium-106, lors de la fabrication d’une source de Cerium-144 ? L’un et l’autre sont des produits de fission présents au sein du combustible nucléaire sorti des réacteurs. Ils ont une période radioactive voisine de 1 an et sont donc présents ensemble dans ce combustible. La radioactivité du cérium étant divisée par 2 tous les 284 jours, il ne faut pas trop attendre pour obtenir une source suffisante et l’extraire d’un combustible usagé relativement jeune et d’autant plus radioactif. Il semble que les installations russes de Mayak étaient capables d’une telle extraction. Au cours de ces opérations de radiochimie chaude, le ruthénium se dégage sous forme d’une molécule volatile, le tétroxyde de ruthénium. En cas de perte d’étanchéité, ce ruthénium volatile peut passer dans l’atmosphère.

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