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Un puissant réacteur à neutrons rapides

L’ombre de Tchernobyl a fait oublier que la Russie est une grande puissance nucléaire. Dans le domaine militaire, elle fut du temps de l’Union Soviétique le rival des Etats-Unis. Dans le domaine civil, les Russes s’enorgueillissent d’avoir produit les premiers kWh « nucléaires » dès 1954 à Obninsk. Les puissants brise-glaces à propulsion nucléaire fonctionnent remarquablement, mais sont cantonnés dans les eaux arctiques. Un institut prestigieux, l’Institut Kurchatov (Recherche nucléaire) emploie 5000 personnes et a une renommée mondiale justifiée.

Après la période de stagnation des années 1990-2000 consécutive à l’éclatement de l’ancienne URSS, une reprise est observée. La Russie ambitionne de devenir N°1 du nucléaire, et investit beaucoup dans ce domaine. La société Rosatom qui étudie, construit et exploite les réacteurs et le cycle du combustible, emploie 300.000 personnes, réparties en nucléaire militaire et nucléaire civil. Dans ses projets, elle est ouverte à des partenariats à l’international.

Vue générale du réacteur BN-800 à neutrons rapides
Ce réacteur russe est situé sur le site de Beloyarsk, près de Sverdlovsk, dans l’Oural. Il fait suite au BN-600, un premier réacteur précurseur à neutrons rapides, exploité depuis 1980 et toujours en service. Les réacteurs à neutrons rapides au sodium ont été développés en Russie depuis les années 1950, avec des réacteurs expérimentaux dont le réacteur d’essai BOR-60, démarré en 1969 et toujours en fonctionnement en 2017.
© ROSATOM

En 2013, la Russie était le troisième producteur d’électricité d’origine nucléaire (derrière les USA et la France) avec 177 TWh produits pour une puissance installée de 25.240 MW, répartis en 33 réacteurs en 10 centrales. Elle vise 30% d’électricité d’origine nucléaire en 2030 et ambitionne de fournir le quart des réacteurs construits dans le monde. Signe de ce renouveau, en 2018 son carnet de commande comporterait 33 réacteurs répartis dans 12 pays. De 2006 à 2017, la Russie a finalisé 13 réacteurs VVVR qui sont des réacteurs à eau pressurisée, dont 3 en Chine, 2 en Inde, un en Iran. Le dernier modèle le VVER 1200 dont deux exemplaires ont été raccordés en 2016 et 2017, sont les premiers réacteurs de troisième génération à fonctionner.

Les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium

Un autre domaine où la Russie est en pointe et a obtenu des succès est celui des réacteurs à neutrons rapides. Deux des trois réacteurs à neutrons rapides fonctionnant dans le monde en 2018 sont russes. Un puissant réacteur le BN-800 a été mis en service en 2016. Son prédécesseur, le BN-600 est avec PHENIX en France le réacteur à neutrons rapides qui a fonctionné le plus longtemps. En service depuis 34 ans, avec une disponibilité moyenne de 74,5%, il est prévu de le prolonger jusqu’en 2020. En comptant les prototypes antérieurs, les réacteurs rapides russes cumulent aujourd’hui 160 années-réacteur.

Intérieur du réacteur
Vue des trois circuits secondaires sortant du bloc réacteur, au centre, qui transportent la puissance thermique des échangeurs intermédiaires du primaire vers les trois générateurs de vapeur qui alimentent les turbines productrices d’électricité. Ces échangeurs intermédaires sont un facteur de sécurité. Ils évitent tout contact direct entre la cuve, le sodium primaire et le circuit secondaire eau-vapeur.
© ROSATOM

– BN 800 Ce puissant réacteur rapide au sodium alimente en électricité la région de Sverdlosk (Iekaterinbourg ). Après une interruption dans sa construction, il a été raccordé en réseau en 2016. Sa puissance électrique est de 880 MWe (megawatts-électriques) pour une puissance thermique de 2 100 MWth, soit un rendement d’environ 40 %. Trois pompes primaires et six échangeurs intermédiaires assurent respectivement la circulation du sodium primaire et l’extraction de la puissance thermique. Trois boucles secondaires transportent la puissance thermique (grâce aux échangeurs intermédiaires) entre le primaire et les trois générateurs de vapeur qui fournissent la vapeur alimentant la turbine.

Par rapport au BN-600, le BN-800 bénéficie de réelles avancées en matière de sûreté. En cas d’arrêt accidentel du refroidissement, l’évacuation de la puissance résiduelle peut se faire par convection naturelle grâce à des échangeurs sodium-air disposés en dérivation sur les boucles secondaires. En outre, le réacteur dispose d’un récupérateur de corium, un dispositif destiné à recueillir les matières hautement radioactives en cas de fusion du cœur, un dispositif dont il est convenu d’équiper les réacteurs de troisième génération comme les réacteurs EPR.

Un système de barres de commande passif complète les systèmes de barres de commande normaux : il est constitué de barres maintenues en position haute qui chutent si le débit sodium primaire diminue en dessous de la normale.

Pour le combustible, BN-800 a démarré avec un combustible à l’uranium 235 enrichi représentant 75 % de la charge totale du cœur, les 25 % restants étant composés d’assemblages de MOX à base d’uranium naturel et plutonium. A cet effet, après la France, la Russie a mis en service une usine de fabrication de combustible MOX. À terme, l’usine sera dans la capacité de fournir les charges complètes de cœur en combustible MOX. Le plutonium serait du plutonium militaire, que la Russie s’est engagée à brûler dans ses réacteurs. Sans avoir atteint le régime de la surgénération, ce réacteur rapide offre l’avantage d’être un brûleur de plutonium.

A la suite du BN-800, les russes conçoivent actuellement un réacteur rapide de 1200 MWe, le BN 1200 . Il serait une étape vers les surgénérateurs de quatrième génération. Le démarrage d’une première unité pourrait avoir lieu en 2020.

BN-800 : un récupérateur de Corium
Le réacteur est équipé d’un récupérateur de corium situé en dessous de la cuve. La partie basse permet une circulation du sodium fondu qui refroidirait la partie supérieure contenant le corium après une fusion du cœur. Cette partie est tapissée de molybdène, matériau qui possède une température de fusion très élevée (2 623 C).
© ROSATOM

NB : Les réacteurs rapides au sodium sont en concurrence en Russie avec deux autres projets de réacteurs rapides, le premier à refroidissement au plomb liquide (projet BREST) et le second, à refroidissement au plomb-bismuth (comme dans certains réacteurs de sous-marins nucléaires).

Source : Russie : BN-800, le réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium le plus puissant au monde, par Remy Dupraz et Joel Guidez, RGN N°6 Nov-Dec 2017, p 46