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Chronique des accidents survenus à la centrale de Fukushima

Cette chronique mise à jour au long de l’année 2011 se veut un témoignage de l’accident et ses suites, tels qu’ils ont été vécus alors. Elle décrit les multiples accidents survenus sur les réacteurs 1 et 3, puis 2 et 4 de la centrale de Fukushima. Malgré sa gravité, l’accident nucléaire n’est pas responsable des 18000 noyés et disparus du raz-de-marée qui l’a précédé.

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Vendredi 11 mars 2011 : Un très violent tremblement de terre de 8,9 de magnitude sur l’échelle de Richter s’est produit le vendredi 11 mars 2011. Son épicentre se situait à 300 km à l’est des côtes du Japon. Il a été suivi d’un tsunami dévastateur dont les vagues de 14 mètres de haut ont ravagé les côtes orientales du pays et ont causé l’accident de la centrale de Fukushima Daiichi.

L’accident nucléaire a commencé le samedi 12 mars avec le réacteur N°1 de la centrale suivi par le N°3 . Lundi 14, c’était au tour du réacteur N°2 d’avoir de graves problèmes de refroidissement. Durant presque un mois, les ingénieurs et techniciens japonais se sont battus pour assurer ce refroidissement et limiter les conséquences de l’accident. Les informations données par les autorités et les médias furent souvent contradictoires et incomplètes. Apocalypse, catastrophe, désastre, journalistes et responsables politiques ne lésinèrent pas sur les mots transformant des inquiétudes légitimes en angoisses.

Un tsunami d’une rare violence
Le Tsunami du 11 mars 2011 a été d’une rare violence comme en témoigne ce navire retrouvé dans une ville de la préfecture de Miagy. Des milliers de personnes sont portées disparues et des villes rayées de la carte. Si médiatiques soient-elles, les peurs engendrées par le nucléaire doivent être mesurées à l’aune de ces drames,
© REUTERS/Kyodo

L’accident de Fukushima n’est pas du type de Tchernobyl, où le réacteur qui n’était pas arrêté s’est emballé relâchant les produits très radioactifs présents dans le cœur. Ce relâchement dura 8 jours à la suite de l’incendie du modérateur en graphite.

L’accident de Fukushima est dû à un manque de refroidissement alors que les réacteurs s’étaient automatiquement arrêtés immédiatement après le tremblement de terre. Après l’arrêt, le cœur d’un réacteur continue à dégager une chaleur considérable du fait des désintégrations radioactives en son sein. Cette chaleur qui représente 7 % de la puissance du réacteur 1 seconde après l’arrêt diminue régulièrement mais lentement. Si le cœur n’est pas correctement refroidi, il s’échauffe et peut fondre.

L’ explosion du réacteur N°1 de Fukushima
Le samedi 12 mars au matin, le toit et une partie du mur du bâtiment réacteur de l’unité 1 de la centrale de Fukushima est détruit par une explosion d’hydrogène. Cet hydrogène provient de la décomposition de l’eau provoquée par la très haute température atteinte par les gaines de combustibles en raison de l’arrêt d’un refroidissement. Relâché lors d’une dépressurisation avec des produits radioactifs volatils, cet hydrogène très mobile se serait accumulé en haut du bâtiment réacteur. Malgré l’explosion, l’enceinte représentée au milieu a continué de jouer son rôle de confinement de la radioactivité du coeur.
© NNK-World

Fusion partielle, explosion d’hydrogène et rejets radioactifs.

L’accident s‘apparente à ses débuts à celui de Three Mile Island où se produisit une fusion du cœur par suite d’un défaut du système de refroidissement. A Fukushima, c’est la violence du tsunami qui a endommagé et inondé les circuits de refroidissement et installations de secours, conduisant à une perte totale des alimentations électriques et des moyens de refroidissement principaux. A Three Mile Island, les produits très radioactifs du cœur sont restés confinés dans une enceinte de confinement. A Fukushima, les enceintes n’ont joué ce rôle que partiellement.

En effet, il fallut pour refroidir d’urgence injecter de l’eau de mer dans les cuves et les enceintes. L’ébullition de cette eau augmentant dangereusement la pression, il fallait périodiquement soulager l’enceinte en relâchant de la vapeur d’une manière contrôlée. Tant que les gaines de combustible n’étaient pas détériorées, la radioactivité de ces bouffées de vapeur restait anodine. Mais, en cas de fusion partielle ce qui s’avéra être le cas, la vapeur incorpore des produits radioactifs volatils issus du combustible, dont le redouté iode-131.

La destruction le 12 mars du toît du bâtiment réacteur N°1 par une explosion d’hydrogène fut le signe de la décomposition de l’eau par le zirconium des gaines de combustibles à haute température et donc d’une fusion partielle du cœur. A Three Mile Island, ces explosions d’hydrogène étaient redoutées, mais ne se sont pas produites. Lundi 14, une explosion similaire d’hydrogène se produisit sur le caisson externe du réacteur N°3 causant 11 blessés. Mardi 15 mars, cela fut à son tour le cas du réacteur N°2 dont on avait annoncé la veille que les barres de combustibles s’étaient trouvées un certain temps découvertes. Cette dernière explosion fut à l’origine des plus fortes contaminations, car le vent soufflait ce jour là vers le nord-ouest et il pleuvait et neigeait.

Une fusion partielle signifie qu’une partie des pastilles de combustible à l’uranium avait fondu, ce qui nécessite de dépasser 2800°C. Les aiguilles de combustible sont endommagées quand une portion de leur gaine se retrouve découverte par l’eau de refroidissement suffisamment longtemps pour que la gaine se fissure, laissant échapper les éléments radioactifs les plus volatils. A partir du jeudi 17, la perspective d’accident gravissime avec une fonte totale du combustible parut s’éloigner. On estima fin avril 2011, que 53% du combustible du réacteur N°1, 35% du N°2 et 30% du N°3 avaient été endommagés.

Comme à Three Mile Island, on a évacué les populations par précaution dans un rayon de 30 km. Grâce à ces dispositions, les évènements liés aux réacteurs de Fukushima n’ont pas fait de morts à ce jour. Malgré la menace qui persiste et l’incertitude du futur, cette absence ou ce petit nombre de victimes doivent être comparés aux 25000 morts et disparus du tsunami.

Des Megawatts à refroidir
En prenant comme modèle l’évolution du dégagement de chaleur, après son arrêt, d’un réacteur REP de 900 MWe , nous avons estimé la décroissance de la puissance thermique d’un réacteur de 700 MWe du type de Fukushima en fonction du nombre de jours écoulés depuis son arrêt, c’est-à-dire depuis le tsunami. La chaleur initiale à évacuer est de l’ordre d’une dizaine de megawatts (1 MW pendant 1 heure équivaut à la vaporisation d’1,6 tonne d’eau) . Elle décroit d’environ 50% du premier au septième jour. La décroissance est lente, mais au cinquième jour le plus dur était passé.
© IN2P3

Mercredi 16 mars : le danger des piscines d’entreposage : Une nouvelle menace s’ajoute ce jour là à celle du refroidissement des réacteurs. Le Japon entrepose longtemps les assemblages de combustibles usés dans des piscines attenantes aux réacteurs. Ces piscines d’entreposages apparurent d’une maniére inattendue comme le talon d’Achille des unités de Fukushima. Dès mardi 15, à la suite d’une explosion puis d’un incendie, le niveau de radiations devint très élevé dans les piscines d’entreposage des réacteurs N°3 et N°4. Ce dernier était pourtant à l’arrêt, mais son combustible usé hautement radioactif venait d’être déchargé dans la piscine.

Ces piscines ont 12 mètres de profondeur. De très hauts niveaux de radiations signifient que les assemblages de combustible ne sont plus recouverts de 8 m d’eau comme ils devraient l’être mais de beaucoup moins. Si le niveau baisse au point de découvrir le sommet des assemblages, le gainage du combustible va commencer à fondre avec tous les dangers que cela comporte ! La journée du jeudi 17, quatre hélicoptères tentent sans grand succès de déverser de l’eau par une forte brise au dessus de la piscine d’entreposage. Le vendredi 18, des canons à eau sont employés pour déverser des tonnes d’eau avec plus de succès. Plus tard, en mai, une inspection par des caméras vidéos de la piscine N°4 montrera des assemblages intacts qui n’avaient pas été dénoyés. La fuite d’hydrogène à l’origine de l’explosion serait venue du réacteur N°3 voisin.

Des progrès lents : Une ligne haute tension est enfin amenée sur le site pour l’alimentation électrique. Le dimanche 20, l’électricité est rétablie sur l’unité N°2. Les autres suivront. Lundi 21, des rejets sont encore observés sur les unités 2 et 3 (la plus endommagée) mais le niveau des radiations émises se stabilise et diminue. Cependant la situation tarde à être maîtrisée. Vendredi 25 des flaques d’eau très radioactives dans les bâtiment des turbines sont à l’origine de graves inquiétudes quant à l’étanchéité de la cuve, de l’enceinte et du circuit secondaire du réacteur N°2. A partir du samedi 26, des pompes sont remises en service injectant de l’eau douce à la place de l’eau de mer. Les températures encore élevées avaient sensiblement baissé dans les réacteurs et les piscines d’entreposage.

Le samedi 19, une contamination d’iode radioactive est relevée sur des épinards en provenance d’une ferme de Fukushima, conséquence de rejets des jours précédents. Mais les rejets ayant été limités, l’ampleur de cette contamination est relativement faible. D’autres contaminations apparaissent les jours suivants, mais la baisse continue du niveau général de la radioactivité suggère l’absence de nouveaux rejets significatifs.

Au début de la troisième semaine, un nouveau problème surgit : comment refroidir en même temps les réacteurs et limiter les fuites d’eau radioactives dans la centrale et au delà vers la mer ? Une partie des tonnes d’eau de mer injectées pour le refroidissement retourne à l’océan porteuse d’une forte radioactivité en iode-131. Pendant plusieurs jours, les techniciens de la centrale se battirent pour colmater une fuite d’eau extrêmement radioactive. Cette eau, en provenance de la cuve du N°2, se déversait dans une fosse puis dans la baie. La fuite fut colmatée le 6 avril.

L’injection en eau douce se poursuit dans les cuves et les piscines d’entreposage des réacteurs à un niveau a priori suffisant. La chaleur à évacuer n’est plus que le quart de ce qu’elle était le premier jour. C’est un refroidissement en circuit ouvert, c’est-à-dire que l’eau apportée s’évapore ou se répand dans l’enceinte de confinement ou dans d’autres bâtiments, essentiellement les salles des turbines. L’objectif à terme est de passer à un refroidissement en circuit fermé dans la centrale de façon à ce que l’eau contaminée ne s’échappe dans les bâtiments où sa présence retarde les interventions humaines. Le problème est de se débarrasser de cette eau radioactive.

Le 12 avril une estimation des autorités de sûreté japonaises chiffre les rejets de radioactifs à 10 % de ceux de Tchernobyl. La quantité d’eau radioactive présente sur le site, à pomper puis à décontaminer est estimée à 100 000 tonnes. Le 18 avril, l’exploitant TEPCO commence le pompage des premières 10 000 tonnes en vue de leur décontamination. Le 17 juin, une station d’épuration installée par AREVA et la compagnie américaine KRYON, entre en fonctionnement. Au cour de juillet, 10 000 tonnes d’eau avaient été décontaminées.

Le 21 avril, le gouvernement japonais classe la zone d’évacuation des 20 km, également dévastée par le tsunami,  en zone en état d’urgence avec interdiction aux habitants évacués d’y retourner sans autorisation.

Fin avril, la situation semble stabilisée. Dix semaines après l’accident, les débits de dose qui ont beaucoup décru permettent de plus longues interventions en particulier dans les bâtiments du réacteur N°1. Une bonne nouvelle, il n’a pas été fait état à cette date de décès parmi ces liquidateurs, contrairement à ce qui s’était passé à Tchernobyl.

Vue aérienne des réacteurs de Fukushima
La vue aérienne montre les réacteurs N1, 2, 3, 4 accidentés avec au devant vers la mer les halls des turbines. Les réacteurs N°5 et 6, indemnes, sont situés  au nord hors de la figure. Les réacteurs 1,2 et 3 qui étaient en marche lors du tremblement de terre ont été arrêtés alors que le N°4 était à l’arrêt. C’est l’unité 3 qui est la plus endommagée. Ce réacteur était chargé avec du combustible MOX qui dégage plus de chaleur après l’arrêt et était le plus difficile à refroidir.
© NYT : Image satellite par GeoEye

Quelles leçons ? Depuis l’origine, les évènements sismiques pris en compte pour la sécurité des réacteurs étaient essentiellement les tremblements de terre, pas des tsunamis. Les précautions efficaces prises par les ingénieurs ont permis aux réacteurs japonais de résister à la violence d’un tremblement de terre, le cinquième par son intensité dans l’histoire des secousses sismiques enregistrées.

Avant de subir le baptême du feu à Fukushima, la sûreté des réacteurs n’avait pas été confrontée à la réalité d’un tsunami d’une telle ampleur. Les précautions à prendre étaient restées incomplètes, les risques sous-estimés. La vague dévastatrice a submergé des installations, interrompant l’alimentation électrique, endommageant les circuits de refroidissement, noyant les groupes diesels de secours et coupant les informations sur l’état des réacteurs. L’accident aurait été probablement évité si des installations de secours d’alimentation électrique et en eau avaient été placées hors d’atteinte du tsunami.

Quelle lecture avoir des évènements ? Une lecture pessimiste : il faut sortir du nucléaire. Une lecture positive : face à l’un des pires cataclysmes de la nature qui a coûté des milliers de vies humaines, le coût en vies humaines de l’accident nucléaire fut en comparaison beaucoup plus bas.

Le 17 décembre 2011, le premier Ministre japonais, Yoshiko Noda, annonça la fin de la pire crise nucléaire mondiale depuis Tchernobyl : les réacteurs endommagés avaient retrouvé un état stable. Neuf mois s’étaient écoulés ; les besoins en refroidissement étaient divisés par 10 ou plus ; l’iode-131 s’était évanouie ; il ne restait plus de produits radioactifs volatils à même de se répandre dans la nature. Excès d’optimisme ?