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Accident ou incident non radioactif de niveau 1 ?

Le 9 juillet 2008, les journaux télévisés font leur Une d’un accident survenu dans une usine de Tricastin. Dans la torpeur de l’été, l’accident est présenté comme un accident nucléaire majeur, et certains média n’hésitent pas à mettre en avant le risque de radioactivité. Des riverains interrogés se disent prêts à vendre leur maison.

Tricastin : site de l’enrichissement de l’uranium
Vue aérienne de Tricastin en bordure du Rhône, site de la grande usine George Besse I d’enrichissement de l’uranium. On aperçoit les tours de refroidissement situés  servant à refroidir l’eau de refroidissement du procédé. La technique de la diffusion gazeuse sera remplacée en 2012 par celle de l’ultracentrifugation beaucoup moins gourmande en électricité. Sur ce site, dédié à l’uranium, la SOCATRI a pour vocation de traiter, entre autres activités, les sous-produits de cet enrichissement.
©  AREVA

Tricastin est le site de la grande usine d’EURODIF dont l’objet est d’enrichir l’uranium naturel en isotope 235 fissile pour alimenter en combustible notamment le parc des réacteurs français. Ces grosses installations sont donc amenées à traiter des quantités considérables d’uranium. Elles en changent la composition, mais n’accroissent en rien la radioactivité de l’uranium naturel.

L’uranium est conditionné en sortie sous forme d’oxydes U3O8 et UO2 stables, peu solubles dans l’eau et stables dans un large domaine de conditions environnementales. Ces oxydes constituent les formes chimiques préférées pour l’entreposage ou le stockage de l’uranium. Cependant les opérations industrielles génèrent des résidus liquides contenant de l’uranium. EURODIF ne rejette pas directement ces résidus mais délègue à la SOCATRI, une filiale d’AREVA, le soin de les traiter afin d’en récupérer l’uranium dans une station de traitement des effluents. Une fois débarrassés de l’uranium, les effluents sont rejetés dans le canal de Donzère-Mondragon.

Lors de l’accident, une cuve de la SOCATRI contenant ces effluents a débordé et 30 tonnes d’une solution contenant 70 kilos d’uranium ont été relâchées dans le ruisseau de la Gaffière qui traverse le site industriel et dont une partie a pu atteindre la nappe phréatique. Quel danger a représenté ce rejet intempestif d’uranium ?

Atelier de traitement des effluents uranifères de Tricastin
L’installation d’assainissement et de récupération de l’uranium de la SOCATRI (une filiale d’AREVA) assure la décontamination de matériels et la récupération de l’uranium sur le site de Tricastin. Les effluents générés par les différentes étapes de l’enrichissement de l’uranium sont traités par la station de traitement des effluents uranifères pour en extraire l’uranium avant qu’ils ne soient rejetés dans le Rhône via le canal de Donzère-Mondragon.
© AREVA

Pour un physicien, présenter la radioactivité comme un danger est très réducteur ! L’uranium fait peur alors que cet élément est omniprésent dans la Nature ! Il est tentant d’exploiter cette peur. Or, contrairement à sa réputation, la radioactivité de l’uranium est particulièrement faible. Le danger est bien davantage de nature physicochimique.

Les atomes lourds, dont l’uranium fait partie avec le plomb, l’arsenic, etc., constituent des poisons dont notre corps ne peut assimiler qu’une quantité infime. Il suffit d’incorporer 2 milligrammes d’uranium par kg pour bloquer nos reins alors que l’exposition radioactive correspondante est bénigne. L’eau que nous buvons contient de l’uranium dissous, mais nous n’en fixons qu’une petite partie. L’organisation mondiale de la Santé a fixé à 13 milligrammes pour un homme de 60 kg la quantité maximale d’uranium admissible dans l’eau qu’il boit en un an. La limite par l’OMS fixée à 13 mg/an (homme de 60 kg) est prudente. Il faudrait absorber 100 fois cette quantité pour aboutir à une dose mortelle.

La concentration d’uranium dans la solution qui a débordé, à l’origine voisine de 12 grammes par litre, était tombée à 1,5 mg/l selon l’Autorité de Sûreté (ASN) peu après le débordement. Il aurait fallu alors boire 9 litres de cette eau pour atteindre la dose tolérable annuelle d’ingestion de 13 mg, et les boire en peu de temps puisque, toujours selon les mesures, la concentration revint à la normale en quelques jours du fait de la dilution naturelle.

Le rejet des 70 kilos d’uranium est très supérieur aux quantités minimes que la SOCATRI est autorisée à rejeter en temps normal dans le Rhône voisin. Il s’agit donc d’un accident sérieux, qui s’apparente aux rejets accidentels de produits chimiques dangereux qui ont malheureusement lieu dans l’Industrie. Mais ces 70 kg doivent être mis en perspective des 300 tonnes d’uranium que charrie le Rhône chaque année ou encore des tonnes présentes dans le sous-sol même des usines de Tricastin et celui de nos jardins. Ainsi, les 2500 tonnes de terre d’un jardin de 1000 m2 sur un mètre d’épaisseur contiennent en moyenne 10 kg d’uranium (La concentration de l’uranium dans les sols est en moyenne de 3 à 4 ppm, parties par million).

La différence avec d’autres rejets intempestifs de produits chimiques est que l’uranium est déjà présent dans la Nature. C’est sa concentration qui est gênante. Une fois dilué, il ne laisse pas de traces durables contrairement au déversement d’une cuve de fioul dans un cours d’eau avec ses dégâts sur la faune aquatique. Ceci explique sans doute pourquoi l’IRSN n’a observé aucune augmentation significative de la concentration d’uranium dans les poissons.

L’accident a été classé par l’ASN de niveau 1, c’est-à-dire une anomalie sortant du régime de fonctionnement autorisé, sans conséquences notables sur le site et hors du site (Une centaine de cas par an en France).

Le 17 juillet 2008, le ministre de l’Écologie a saisi le Haut-Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, lui demandant d’examiner «l’état des nappes phréatiques situées près de toutes les centrales nucléaires françaises». Mesure rassurante ? Mesure pour la galerie ? En ce qui concerne l’uranium du combustible des centrales, elle n’est guère utile ! Cet uranium conditionné à l’intérieur de gaines étanches sous forme insoluble devrait franchir une série d’obstacles quasi infranchissables pour parvenir à la nappe phréatique. De nombreux contrôles sont déjà pratiqués par ailleurs, et s’il y avait des fuites, c’est de l’uranium dont on se préoccuperait en dernier.

Suite à l’incident, L’IRSN a engagé des campagnes régulières de mesure dans l’environnement et a poursuivi une surveillance renforcée de la nappe d’eau du Tricastin. Aucune augmentation de la concentration en uranium n’a été observée dans les eaux souterraines tout au long du suivi qui a été prolongé en 2009.