LARADIOACTIVITE.COM

Une base de connaissances grand public créée et alimentée par la communauté des physiciennes et physiciens.

D’un noyau individuel à une action en masse …

La fission nucléaire a beau dégager beaucoup d’énergie, elle concerne de minuscules noyaux atomiques. Si elle se limitait à celle de quelques noyaux d’uranium-235 ou plutonium_239 l’énergie libérée resterait encore très petite. Par contre, si la réaction concerne un très grand nombre de noyaux, c’est à notre échelle que se manifestera ce grand dégagement d’énergie.

C’est le phénomène de réaction en chaîne qui est utilisé dans les réacteurs et les armes nucléaires pour générer un grand nombre de fissions. Dans un réacteur la propagation des fissions se fait d’une manière contrôlée, dans un arme nucléaire d’une façon incontrôlée, explosive.

Deux à trois neutrons accompagnent en moyenne les produits de fission. Si un de ces neutrons secondaires est absorbé par un noyau fissile, il peut y déclencher une seconde fission, source de nouveaux neutrons. C’est le principe de la réaction en chaîne.

Principe de la réaction en chaîne
Du fait de la capture d’un neutron, un noyau fissile d’uranium-235 ou de plutonium-239 a subi une fission. Plusieurs neutrons accompagnent les produits de fission. Sur la figure, 2 des 3 neutrons secondaires déclenchent 2 nouvelles fissions. Des neutrons de seconde génération déclenchent à leur tour 4 fissions tertiaires. La réaction en chaîne prend un tour explosif, ce qui arrive dans une bombe atomique où la proportion de noyaux fissiles est très élevée. Dans le cœur d’un réacteur où les noyaux fissiles ne dépassent pas 4 % et où beaucoup de neutrons se perdent en route, le nombre de neutrons entretenant la fission est exactement 1. La réaction en chaîne s’entretient sans se développer.
© GSI

Le plutonium-239 est le noyau qui produit le plus de neutrons secondaires : 2,91 en moyenne par fission, 2,30 par capture. L’uranium-235 en produit 2,47 et l’uranium-233 2,55. Le nombre de neutrons disponibles pour de nouvelles fissions dépend de l’abondance des noyaux fissiles et des pertes dues aux neutrons capturés sans produire de fission et ceux qui quittent le cœur du réacteur ou sont piégés par d’autres noyaux.

Quand le nombre de neutrons « relayeurs » devient supérieur à un, une réaction en chaîne se développe d’une manière explosive. La fission ne concerne plus des noyaux individuels mais une fraction importante de la matière fissile. Les énergies mises en jeu dans les phénomènes nucléaires étant des dizaines de millions de fois celles des phénomènes chimiques, l’explosion dégage une énergie énorme à l’échelle humaine.

1942, Chicago : première réaction en chaîne
C’est le 2 décembre 1942, durant la seconde guerre mondiale, que l’équipe de physiciens américains dirigée par Enrico Fermi réussit la première réaction en chaine nucléaire dans le cadre du projet Manhattan. L’évènement eut lieu à Chicago, sous les gradins d’un stade, au sein de la première pile atomique ancêtre de nos réacteurs.
© DR

Il faut donc maîtriser la capture des neutrons pour contrôler « à petit feu » la réaction dans les réacteurs nucléaires. Le fonctionnement d’un réacteur utilisant l’uranium naturel est délicat, car ce dernier ne contient qu’une faible proportion – 0,70 % – d’uranium-235 fissile. On a généralement recours à des procédés de séparation isotopique pour enrichir la proportion d’uranium-235 de 0,70 % à 3,5 %. Ceci permet de l’utiliser dans des réacteurs à eau pressurisée qui sont les plus répandus à l’heure actuelle.

Ces derniers fonctionnent avec un uranium enrichi à 3,5 % en U-235 fissile. Pour que la réaction en chaîne puisse être entretenue, il faut éviter que la perte de neutrons soit importante dans les 97 % d’uranium non fissile restants et les matériaux constituant ou entourant le cœur du réacteur.

Bilan des neutrons dans un réacteur REP
Bilan des neutrons de fission dans un réacteur à eau pressurisée (REP). Environ 41 % des neutrons provoquent de nouvelles fissions et entretiennent la réaction en chaîne, dont 39 % avec des neutrons lents. Par ailleurs, 28 % capturés dans l’uranium-238 le transforme à terme en plutonium-239 fissile. Le reste est perdu : 13 % sortent du réacteur ; 18 % donnent lieu à des captures dites stériles. Parmi ces dernières, certaines peuvent empoisonner la marche du réacteur, d’autres servent à la régulation de la réaction en chaîne (bore, barres de contrôle).
© IN2P3

La probabilité de fission varie en effet beaucoup avec l’énergie du neutron capturé. Pour l’uranium-235, elle est maximale avec des neutrons de très basse énergie, appelés neutrons thermiques. Il faut ralentir les neutrons le plus vite possible, pour éviter qu’ils soient capturés en route par d’autres noyaux et donc perdus. On cherche à les ralentir jusqu’à une très faible énergie, pour que la proportion des neutrons qui fissionnent l’uranium-235 soit la plus favorable. A cet effet, les matières fissiles sont mises en présence d’un milieu ralentisseur (eau ou graphite), appelé « modérateur ».

Grâce au modérateur, on a la possibilité de disposer par fission d’un peu plus d’un neutron susceptible de donner une seconde fission. Afin d’éviter que la réaction ne diverge d’une manière explosive, le réacteur est conçu pour que la « criticité » (proportion de neutrons entretenant la réaction en chaîne) reste exactement égale à 1. Par exemple les réacteurs à eau pressurisée REP sont conçus pour qu’une excursion de la criticité au dessus de la valeur 1, qui pourrait prendre un tour dangereux, soit immédiatement et naturellement corrigée.