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Les réacteurs à neutrons rapides : la filière du futur ?

PHENIX : un réacteur à neutrons rapides
Le réacteur PHENIX, à Marcoule dans le Gard. Les réacteurs à neutrons rapides permettent d’obtenir des conditions neutroniques plus favorables à la transmutation que les réacteurs industriels à eau pressurisée. PHENIX a été utilisé pour cette raison pour étudier la transmutation d’actinides comme l’américium dans le cadre des recherches sur les déchets radioactifs. Il a été déconnecté du réseau et arrêté en 2009.
© CEA

Les réacteurs à neutrons rapides ou RNR ne nécessitent pas de ralentir les neutrons. Avec un combustible enrichi à 15 ou 20 % d’uranium-235 ou de plutonium, il n’est plus nécessaire de ralentir les neutrons comme dans les réacteurs classiques à eau pressurisée ou à eau bouillante. L’intérêt des neutrons rapides est qu’ils sont les seuls capables d’extraire la totalité de l’énergie de fission contenue dans l’uranium de la croûte terrestre.

Les réacteurs à neutrons rapides utilisent principalement du plutonium comme combustible. Ils ne nécessitent pas de modérateurs. Leur cœur est 10 fois plus petit que celui d’un réacteur conventionnel à l’uranium. Le refroidissement se fait au sodium ou au plomb fondu (projet russe). Ce refroidissement pose un problème de sécurité, notamment avec le sodium, qui réagit violemment à l’air et à l’eau. Néanmoins, un surgénérateur comme PHENIX a fonctionné 40 ans sans accident avant d’être arrêté en 2011.

Surgénérateur SUPERPHENIX à Creys-Malville
Le réacteur SUPERPHENIX était un gros réacteur surgénérateur conçu pour produire de l’électricité. En 1996, Il avait été décidé de renoncer la production d’électricité, mais d’utiliser les neutrons rapides du réacteur pour brûler du plutonium et des déchets radioactifs. Le réacteur fut arrêté en 1997 par le gouvernement Jospin.
© CEA/ Common Wikipedia

Leur intérêt principal est de pouvoir générer dans certaines conditions plus de matière fissile qu’il n’en en est consommé. Un tel réacteur est dit « surgénérateur » (il est dit « sous-générateur » s’il ne produit pas de surplus). Le principe de ces réacteurs est particulièrement séduisant pour la production d’énergie. La surgénération offre une source d’énergie pratiquement inépuisable : un des plus anciens fantasmes de l’humanité, l’équivalent du moteur à eau ! On estime que l’on pourrait extraire ainsi de 50 à 80 fois plus d’énergie qu’avec des réacteurs ordinaires utilisant des neutrons lents.

Les neutrons rapides sont efficaces pour brûler les actinides mineurs et le plutonium, des matières radioactives à très long temps de vie. Les RNR génèrent 4 fois moins d’actinides mineurs que les réacteurs à neutrons thermiques. La quantité de plutonium reste constante, en mode de surgénération, puisque le combustible est régénéré. Mais la régénération n’est pas obligatoire. Si l’objectif est abandonné, il est possible de brûler le plutonium partiellement ou totalement.

Le premier réacteur à neutrons rapides ayant fourni de l’électricité à échelle industrielle est Superphenix. Il a été arrêté en 1997. Divers pays, dont la France, le Japon, la Russie notamment continuent des recherches sur cette filière dans le cadre des études sur les réacteurs de quatrième génération

La Russie en particulier dispose sur le site de Beloïarsk d’un réacteur BN-600 en exploitation depuis 1980 suivie d’une nouvelle tranche du type BN-800 qui a été raccordée au réseau en 2016 avec une puissance de 885 MW. Un autre surgénérateur plus puissant du type BN-1200 est également prévu sur ce site ainsi que deux autres dans l’oblast de Tcheliabinsk dans le sud de l’Oural. Aux USA, la société TerraPower développe en 2022, un réacteur rapide appelé Natrium, refroidi au sodium. Au Japon après l’accident de Fukushima, le prototype de surgénérateur rapide Monju de 280 MWe a été définitivement arrêté et son démantèlement engagé en 2016. Ce pays comme la Chine possèdent, à des fins de recherche, deux petits RNR de faible puissance.  L”Agence Japonaise de l’Énergie Atomique (JAEA) a signé en janvier 2022 un protocole d’accord de coopération avec l’entreprise TerraPower pour le développement de tels réacteurs rapides. L’Inde, quant à elle, prévoit le démarrage d’un premier RNR de 500 MWe, le PBPR (Prototype Fast Breeder Reactor) dans le cadre d’un ambitieux programme.

Centrale de Beloyarsk : BN-600
Bâtiment principal de la centrale nucléaire russe de Beloyarsk (vu ici en 2005 à partir du lac-réservoir de Beloyarskoye) près de Sverdlovsk, dans l’Oural. La centrale comporte une tranche à neutrons rapides (BV-600), jusqu’à 2016 la plus puissante en fonctionnement dans le monde, avec une bonne disponibilité de 75 %. Une seconde unité plus puissante, le BN-800 a alors été mise en service.
© Wikipedia commons

On pourrait démarrer le moment venu une filière de réacteurs à neutrons rapides, à partir des stocks issus de la séparation isotopique (uranium appauvri) et du plutonium provenant du retraitement des combustibles usés. L’uranium appauvri et l’uranium provenant du retraitement, suffiraient pour faire fonctionner pendant plusieurs milliers d’années la filière en se passant totalement d’uranium naturel. Le plutonium des combustibles MOX usés actuellement entreposés pourrait aussi être mélangé à hauteur de 15 % à de l’uranium appauvri.

En tant que brûleurs de déchets, les réacteurs à neutrons rapides devraient subir la concurrence des réacteurs hybrides, dont le principe a été proposé par Carlo Rubbia en 1993. Ces derniers, encore à l’étude, seraient dédiés à la destruction des actinides mineurs. Ils auraient la capacité de détruire le plutonium et leur fonctionnement serait très sûr.

Le lecteur curieux pourra consulter un excellent et complet historique et panorama de ces réacteurs, publié par le CEA : Historique et bilan de fonctionnement des RNR-Na, par Joël Guidez et Jean-Guy Nokhamzon