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Des réacteurs prometteurs mais encore lointains

Les réacteurs à sels fondus (Molten Salt Reactors) sont de conception très différente des autres réacteurs. La matière fissile y est « diluée » dans un milieu liquide : un sel fondu. Ce sel est un fluorure de Lithium dans la majorité des projets tel que le projet européen MSFR ou encore un chlorure comme dans le projet allemand DFR. Combustible et sels fondus circulent dans le cœur et dans le système de refroidissement. La circulation des sels dans l’ensemble « brasse » en permanence les combustibles et les matières radioactives présentes en leur sein.

1968 – Molten Salt Reactor Experiment
Ce réacteur expérimental de faible puissance permit de 1964 à 1969 de premières études sur les réacteurs à sels fondus au grand laboratoire américain d’OakRidge. En 1968, une dernière expérience fut même effectuée avec un combustible contenant de l’uranium-233 comme matière fissile. La photographie, montre le prix Nobel Glenn Seaborg, président de l’Atomic Energy Commission, aux commandes pour le démarrage de l’expérience.
© MSRE – Oak Ridge

Le concept a été étudié avec des résultats probants au grand laboratoire américain d’OakRidge pendant les années 1960. Sous l’impulsion d’Alvin Weinberg, un pionnier de la science des réacteurs, le premier réacteur ayant utilisé de l’uranium-233 y fut construit. Le Molten-Salt Reactor Experiment fonctionna de 1964 à 1969. Il fut ensuite délaissé faute de financement.

Vidéo du Oak Ridge National Laboratory consacrée au petit réacteur à sels fondus précurseur de 8 MW qui a fonctionné de 1965 à 1969 dans ce laboratoire.

Des réacteurs atypiques …

Un MSR peut tourner en continu, sans pause pour le « rechargement de combustible ». Liquide, le combustible peut en effet être extrait et recyclé en continu, un peu comme l’eau d’une piscine. On peut ainsi en retirer quotidiennement les produits de fission pour les stocker à l’écart du réacteur. Quant aux plutonium et actinides mineurs, ils restent dans le cœur jusqu’à ce qu’ils fissionnent à leur tour et soient donc totalement « brûlés ».

Ces réacteurs fonctionneraient à la pression atmosphérique contrairement aux réacteurs actuels à eau pressurisée ou à eau bouillante. Ils ne nécessiteraient pas d’enceintes pour contenir ces hautes pressions. Ils pourraient être plus simples à construire.

Principe de fonctionnement d’un réacteur à sels fondus
Le combustible nucléaire se retrouve mélangé à des sels fondus. C’est dans cet état liquide qu’il subit des réactions de fission sous l’effet de neutrons. Des échangeurs de chaleur permettent de récupérer à droite l’énergie produite. Les produits de fission gazeux sont extraits en continu. Les autres produits de fission sont extraits des sels fondus dans une unité de retraitement à gauche. Ce retraitement ne serait probablement pas directement en débit continu connecté au réacteur. On envisage plutôt des ponctions journalières ou hebdomadaires.
© RGN

Les dispersions de radioactivité en cas d’accident grave seraient moins importantes du fait que le traitement en continu débarrasserait le combustible liquide de l’accumulation de produits de fission radioactifs. Une grande partie de la radioactivité est en effet ainsi retirée de la cuve du réacteur (NB : Cette radioactivité transférée reste néanmoins à gérer). Par ailleurs, dès que le sel se retrouve en contact avec l’air il se solidifie en surface ce qui confine les radioéléments.

Les réacteurs à sels fondus sont souvent associés à un combustible au thorium et à l’uranium-233. Avec un tel combustible, les MSR auraient la capacité d’être surgénérateurs pour tous les spectres des neutrons, neutrons lents et neutrons rapides. Ces réacteurs pour être démarrés nécessiteraient l’ajout d’une charge de plutonium-239 fissile ou d’uranium enrichi avec environ 15% d’uranium 235.

Chargés d’un combustible thorium-uranium-233 ou uranium-plutonium, les MSR pourraient avec des neutrons rapides incinérer des déchets à longue durée de vie comme les actinides mineurs qui seraient introduits dans les sels liquides. Les noyaux des actinides sont gros et fragiles . Une façon de les détruire de les faire grossir par captures de neutrons jusqu’à ce qu’ils éclatent par fission.

Les réacteurs actuels, dont les combustibles ne restent dans les cœurs que 3-4 ans, ne se prêtent pas aux captures multiples. Pour brûler efficacement les actinides (et le plutonium), il faudrait des séjours plus longs en réacteur. Avec un réacteur à sels fondus, les actinides mineurs resteraient assez longtemps pour être brûlés au sein de cette sorte de soupe que constitue un combustible liquide.

Depuis les années 2000, les réacteurs à sels fondus sont à nouveau considérés dans le cadre du Forum International Génération IV comme une des options pour les réacteurs du futur. Des recherches sont menées en France par le CNRS à Grenoble en liaison avec le CEA et Framatome. La Chine, les États-Unis principalement financent un programme de recherche pour développer cette technique à l’échelle industrielle, la Chine déclarant vouloir construire un MSFR (Molten Salt Fast Reactor) d’ici 2030.

Séduisants au niveau de la conception en raison de ces multiples avantages, dont celui de pouvoir utiliser le thorium comme combustible, ces réacteurs demeurent encore au niveau des principes. De nombreux problèmes techniques restent à résoudre. Des verrous technologiques sont à lever au niveau des matériaux, de la maintenance, d’une chimie complexe et évolutive. Par exemple, il faut s’assurer d’un alliage capable de résister des années durant à la corrosion de sels fondus à une température de 600-700°C. Pour les fluorures, ce matériau existe, c’est l’hastelloy. En chlorure on pourrait utiliser un simple acier 316 parce que les températures sont moins élevées.

Avantages mais verrous technologiques
Liste des avantages et verrous technologiques, présentée lors d’un exposé sur les réacteurs à sels fondus
© Paul Gauthé (CEA), Janvier 2020

Beaucoup d’études et de tests s’avèreront nécessaires avant de pouvoir réaliser un démonstrateur. Il y a un réacteur en construction en Chine et il y a eu récemment une annonce en Russie. En dehors de ces premiers pas, aucune construction d’un prototype n’est actuellement lancée. Elle demanderait par ailleurs un processus de certification qui ne serait pas simple, vu l’originalité du concept.

Pourquoi la Chine veut se doter d’un réacteur au thorium ? Sébastien SEIBT, France 24 10/9/2021

Remerciements à M.Daniel Hauer, responsable au CNRS/IN2P3 des recherches sur les réacteurs à sels fondus, pour sa relecture et ses précieuses suggestions.