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Uranium 233 : un noyau fissile produit à partir du thorium

Le cycle thorium est la seule alternative au cycle uranium. Le thorium étant plus abondant que l’uranium dans la croûte terrestre, on a envisagé depuis les débuts du nucléaire d’exploiter les possibilités d’un combustible à base de cet élément. La difficulté est que le thorium, constitué pratiquement à 100 % de thorium-232, est seulement « fertile ». La capture d’un neutron ne provoque pas de fission mais transforme ce thorium en un noyau fissile d’uranium-233, une transformation similaire à celle de l’uranium-238 en plutonium-239.

De grands pays comme la Chine ou l’Inde dépourvus en ressources d’uranium, mais riches en thorium, s’intéressent aux possibilités offertes par cet élément. Bien que plus abondant que l’uranium, le thorium s’avère moins disponible sous forme de gisement et plus difficilement accessible. Cependant comme il est utilisé en tant que noyau fertile, les besoins en thorium sont 100 fois plus faibles que ceux en uranium avec le cycle actuel qui utilise essentiellement l’uranium 235.

Uranium-233 et plutonium-239
La formation de l’uranium-233 dans un cœur de réacteur à base de thorium (en haut) est similaire à celle du plutonium-239 à partir de l’uranium (en bas). La capture d’un neutron conduit à la formation d’un noyau de thorium-233 très instable qui par deux désintégrations bêta successives se transforme en uranium-233. La principale différence entre les deux mécanismes est que la désintégration du protactinium-233 (en uranium-233), est 12 fois plus lente que celle du neptunium-239 en plutonium-239. Il faut attendre pratiquement une année après l’arrêt du réacteur pour que tout le protactinium-233 se transforme en uranium-233.
© IN2P3

L’uranium-233 possède une période radioactive de 159 000 ans, longue mais cependant trop courte pour qu’il ait subsisté à l’état naturel. Pour compenser l’absence initiale de matière fissile dans un combustible au thorium, le plus simple est d’ajouter au départ de la matière fissile sous forme de plutonium ou d’uranium enrichi, l’uranium-233 formé au cours du temps remplaçant progressivement la charge initiale fissile. Si celle-ci était du plutonium, on pourrait se débarrasser de ce dernier, et brûler également des actinides mineurs que l’on aurait ajouté.

Le handicap d’un dopage initial avec des éléments fissiles a été longtemps rédhibitoire. Le regain d’intérêt pour cette filière est dû en partie à ce que l’on dispose maintenant de suffisamment de plutonium pour démarrer des réacteurs au thorium, du moins en France et dans les pays exploitant le nucléaire civil de manière importante. Ensuite, ces réacteurs seraient capables de régénérer leur uranium-233.

Déploiement de réacteurs au thorium
Scénario possible de démarrage d’un réacteur au thorium à sels fondus. A gauche, un réacteur rapide RNR, chargé d’un combustible enrichi au plutonium et entouré d’une couverture de thorium fertile, génèrerait environ 200 kg par an d’uranium-233. Il faudrait plusieurs années-réacteurs de fonctionnement pour atteindre la charge fissile d’uranium-233 nécessaire pour démarrer un second réacteur (à droite) à sels fondus au thorium ou recourir à plusieurs RNR.
© IN2P3

Une fois surmonté l’obstacle du démarrage de la filière, l’uranium-233 présente des avantages du point de vue nucléaire. Il est celui des trois noyaux fissiles pour lequel les pertes par captures non suivies de fission sont les plus petites. La capture d’un neutron est suivie d’un nombre plus élevé de neutrons secondaires qui permet d’envisager la surgénération même avec des neutrons lents : 2.28 neutrons en moyenne par neutron primaire absorbé, contre 2.07 pour l’uranium-235 et 2.11 pour le plutonium-239. Le déploiement de la surgénération nécessiterait des charges initiales de combustible beaucoup moins importantes que pour les surgénérateurs classiques au plutonium.

L’uranium-233 est considéré plus ” propre ” que les combustibles à base d’uranium-235 et de plutonium. Dans les réacteurs conventionnels, les captures de neutrons conduisent à la formation de noyaux transuraniens, les actinides mineurs, qui contribuent beaucoup à la nuisance à long terme des déchets ultimes. La production de ces transuraniens gênants est faible avec un combustible thorium. Dans le cas de l’uranium-233, les captures non suivies de fission conduisent à la formation de ” transthoriens ” : des noyaux d’uranium-234, 235 et 236 de périodes radioactives nettement plus longues (247000 ans, 700 et 24 millions d’années) et donc beaucoup moins radioactifs.

Régénération de l’uranium-233 par neutrons lents et rapides
La fission d’un noyau d’uranium-233 produit plus de deux neutrons secondaires. Si un de ces neutrons génère une nouvelle fission, et un second est capturé par du thorium pour se transformer en uranium-233, le combustible fissile est régénéré. L’avantage de l’uranium-233 par rapport à l’uranium-235 ou au plutonium-239 est de se prêter à la surgénération aussi bien avec des neutrons primaires lents que rapides.
© IN2P3 (Source A.Nuttin/LPSC Grenoble)

Les projets de réacteurs au thorium sont souvent associés à des sels fondus, dans lesquels seraient introduites les matières fissiles. Cette solution supprimerait les problèmes de tenue du combustible et les nécessités de rechargement. Un retraitement en continu permettrait de retirer des matières liquides les produits de fission les rendant moins radioactives. On pourrait ajouter aux sels fondus des actinides mineurs et du plutonium qui sur la durée seraient détruits. Le réacteur jouerait alors le rôle de brûleur de déchets.

Si des Réacteurs à Sels Fondus (RSF) au thorium sont déployés dans le futur, ce seront probablement des réacteurs à spectre rapide. Ces réacteurs ont l’avantage de pouvoir fonctionner avec n’importe quel matière fissile ce qui facilite leur démarrage. Le mode thorium+uranium-233 surviendrait après la période initiale. Des RSF thermique au thorium ne seraient pas viables. Ils présenteraient des problèmes de sûreté, de durée de vie du graphite modérant les neutrons et d’un retraitement non réaliste.

Il existe également des études de réacteurs au thorium sans sels fondus. L’Inde envisage des réacteurs CANDU au thorium, donc en combustible solide. Par ailleurs des études sur des réacteurs à neutrons rapides sodium (RNR-Na) au thorium ont montré que ces derniers pouvaient résoudre le problème de leur coefficient de vide. Dans le passé, une expérience (1977-1982) sur le réacteur précurseur de Shippingport avait obtenu la régénération en cycle thorium et combustible solide dans un REP.

Gamma pénétrants émis par l’Uranium 232
Certaines captures de neutrons aboutissent à la formation d’une petite quantité d’uranium-232. La période de cet isotope radioactif est de 69 ans. Sa désintégration est suivie d’une cascade de désintégrations à la fin de laquelle (en haut) sont émis des gamma d’énergie supérieure au MeV très pénétrants. Cette radioactivité impose des précautions dans la manipulation et le retraitement du combustible.
©  IN2P3

Certaines captures de neutrons par le thorium aboutissent à la formation d’un autre isotope de l’uranium, l’uranium-232. Cette présence d’un peu d’uranium-232 pose des problèmes de radioprotection. Au terme d’une longue chaine de désintégrations des rayons gamma énergétiques et pénétrants sont émis. Dans un réacteur à sels fondus, le traitement du combustible en continu permet de le débarrasser des descendants de l’uranium-232. C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle le cycle thorium est envisagé en Réacteurs à Sels Fondus qui simplifie les manipulations du combustible.

Matière fissile comme l’uranium-235 ou le plutonium-239, l’uranium-233 se prêterait difficilement à son usage pour des bombes atomiques. Il présente une forte résistance à la prolifération grâce à la présence de la petite quantité d’uranium-232 formée en parallèle. Cet isotope radioactif émet en fin de sa chaîne de désintégrations un rayon gamma très énergétique dont il est difficile de se protéger. Ce gamma sert aussi de traceur pour détecter un transport illicite d’uranium-233.

Au final, si ces handicaps sont surmontés, la filière uranium-thorium offrirait des avantages pour remplacer les réacteurs conventionnels à eau pressurisée. Le thorium est plus abondant que l’uranium. La filière assurerait l’avenir énergétique de l’humanité pour des milliers d’années. La radiotoxicité à long terme des déchets laissés en héritage serait en fin de compte diminuée par l’absence de plutonium et d’actinides mineurs.