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Un procédé assez économe en énergie mais proliférant

Les barattes d’autrefois qui séparaient le petit-lait de la crème pour en faire du beurre étaient des centrifugeuses. Des centrifugeuses qui tournent autrement plus rapidement sont utilisées aujourd’hui pour séparer les isotopes de l’uranium sous l’effet de la force centrifuge. Cette force est proportionnelle à la masse, au carré de la vitesse de la particule qui subit cette rotation. Les particules les plus massives à l’intérieur d’une centrifugeuse ressentent davantage cette force et émigrent davantage vers la paroi externe.

Dans le cas des centrifugeuses utilisées pour séparer uranium-235 et uraium-238, la différence de masse entre les deux types d’atomes à séparer est à peine de 1 %. Grâce à des vitesses atteignant des centaines de mètres par seconde, la paroi externe est soumise à des accélérations de l’ordre de dizaines de milliers de fois l’accélération de la pesanteur. Il faut employer des matériaux extrêmement résistants et éviter le moindre déséquilibre ou le moindre défaut de construction sous peine de voir la centrifugeuse voler en éclats.

Ce sont les progrès réalisés en matière de résistance des matériaux grâce notamment à l’utilisation des fibres de carbone, à la fin des années 1980, qui ont permis à l’ultracentrifugation de se développer. Cette technique, qui bénéficie d’une expérience de plusieurs décennies, est maintenant bien au point. Beaucoup moins gourmande en électricité et nécessitant des installations moins lourdes, elle s’est progressivement substituée à la diffusion gazeuse.

Cascade de centrifugeuses
Le gaz d’uranium est introduit dans des cascades de milliers de centrifugeuses comprenant un rotor de 1 à 2 m de haut et de 15 à 20 cm de diamètre. Quand les rotors tournent à très haute vitesse, les molécules d’uranium-238 tendent à se concentrer à l’extérieur, celles d’uranium-235 près de l’axe du cylindre. Les centrifugeuses doivent tourner à 50 000-70 000 tours par minute, soit une vitesse de la paroi du cylindre extérieur de 400-500 m par seconde. La fraction légèrement enrichie va alimenter la centrifugeuse suivante, tandis que la fraction appauvrie repart à la précédente.
© URENCO/IN2P3

Le procédé consiste à faire tourner l’hexafluorure d’uranium rendu gazeux par chauffage dans une ultracentrifugeuse, tournant à très grande vitesse. De ce fait les atomes d’uranium les plus lourds (U-238) migrent à la périphérie de la machine alors que les plus légers (U-235) restent plutôt au centre. Les uns et les autres sont alors pompés séparément et renvoyés vers une autre centrifugeuse.

Au niveau d’un centrifugeuse individuelle la modification des proportions d’atomes d’uranium 238 et 235 est marginale. Pour arriver à l’uranium enrichi, le gaz doit traverser des dizaines de milliers de centrifugeuses disposées en cascade, mais le procédé est modulaire. Les unités de production peuvent être assez petites. es besoins en énergie qui sont 50 fois plus faibles que ceux de la diffusion gazeuse restent raisonnables.

Centrifugeuse TC21
L’emploi de matériaux composites plus résistants de l’acier a permis de multiplier par deux la vitesse de rotation et par un ordre de grandeur la longueur du rotor. Cette centrifugeuse de dernière génération TC21 développée par la société URENCO à la même capacité d’enrichissement que la batterie de plusieurs dizaines de centrifugeuses de première génération aperçue en contrebas.
© URENCO/ETC

Des centrifugeuses de plus en plus performantes

La capacité d’une centrifugeuse varie en proportion de sa longueur et comme la quatrième puissance de la vitesse de rotation de son rotor. Le programme de développements de la société URENCO aux PaysBas, la plus avancée dans le domaine, a consisté à agir sur ces deux facteurs. Depuis les premières centrifugeuses des années 1970, la vitesse de rotation du rotor a été multipliée par 2 et sa longueur par un ordre de grandeur.

Les nouvelles technologies ont joué un rôle déterminant, avec le remplacement progressif de rotors métalliques par des rotors plus résistants constitués de matériaux composites. En un demi-siècle, la capacité des centrifugeuses modernes a été multipliée par près de 50. La surface au sol nécessaire pour de telles installations est beaucoup plus réduite. L’enrichissement devient de plus en plus abordable.

Risques de prolifération

Mais si la centrifugation est compétitive pour alimenter en combustible enrichi les réacteurs civils, elle facilite aussi l’accès à la bombe atomique. La technique est proliférante. Pour obtenir l’uranium enrichi à 90 % qui entre dans la confection des bombes, il suffit de poursuivre l’enrichissement bien au delà des quelque 4 % demandés par les réacteurs.

Pendant longtemps il a été acquis que l’ultracentrifugation relevait de la haute technologie et que seuls les pays industriels les plus avancés étaient capables de fabriquer les éléments cruciaux nécessaires. L’évolution de l’économie mondiale a bouleversé ce postulat. A partir de 1990, les entreprises ont délocalisé leurs activités de pointe vers des pays d’Asie où la main d’œuvre a acquis un savoir faire dans le traitement des matériaux nouveaux, la fabrication d’équipements très délicats, et le respect de spécifications très rigoureuses. Par exemple, lorsque a été démasqué en 2002 le trafic de centrifugeuses organisé par le savant Pakistanais Abdul Khader Khan, il est apparu que certains éléments de centrifugeuses avaient été fabriqués en Malaisie.

Les centrifugeuses peuvent servir à un enrichissement pour les réacteurs – en principe légitime – ou à un enrichissement militaire. En raison de cette dualité, il est difficile de distinguer des installations à but civil (qui incluent aussi l’extraction et la conversion de l’uranium) de celles destinées aux armes nucléaires. Ces installations font l’objet d’inspections de l’AIEA qui sont à même de détecter la présence par exemple d’uranium très enrichi. Mais les inspections n’ont accès – dans les pays signataires du traité de non-prolifération – qu’aux installations déclarées.

L’Iran du fait de l’embargo dont il était l’objet de la part des États-Unis avait développé ses propres centrifugeuses pour enrichir l’uranium dont il avait besoin. Durant une quinzaine d’années, la crise du nucléaire iranien a occupé la scène internationale. Sous le couvert d’activités civiles, l’Iran recherchait-il l’accès à l’arme atomique ? La crise s’est un temps résolue en 2016 par un accord limitant fortement ses activités d’enrichissement et les soumettant aux inspections de l’AIEA. L’accord bien que respecté fut remis en cause en 2018 par l’Administration Trump, puis ensuite par l’Iran.

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