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Atome civil ou course à la bombe ?

L’Iran : des installations dispersées
L’Iran disposait fin 2010 d’installations nucléaires diverses et dispersées : le réacteur de Bushehr en cours de mise en service, des réacteurs de recherches, une usine de conversion de l’uranium à Ispahan , une installation d’enrichissement à Natanz, un réacteur à eau lourde en construction à Arak. Bien que ces sites soient soumis aux inspections de l’AIEA, l’ambiguïté demeurait. Les USA suivis de gouvernements européens pensaient que ces sites cachaient un programme militaire. L’option militaire resta sur la table, accompagnée de projets de bombardements d’installations.
© DR

La crise du nucléaire iranien aurait dû trouver son épilogue avec l’accord signé à Vienne le 14 juillet 2015. À la suite des vérifications effectuées depuis par l’AIEA, les sanctions dont faisait l’objet l’Iran avaient été levées à partir du 16 janvier 2016. Il fallait s’en réjouir et espérer que le climat de détente persiste.

Début 2017, avec l’arrivée de l’Administration Trump, l’accord fut malheureusement rompu. Des sanctions très dures furet imposées à une population innocente, agrémentées de menaces de guerre. Les États avaient pourtant en face d’eux, à travers le président Rohani, un gouvernement iranien modéré.

Nous avons arrêté cet exposé à la signature de l’accord. Psychose ou réalité, l’Histoire dira ce qu’il en était d’une menace d’une arme nucléaire iranienne. Les pages qui suivent sont donc antérieures à l’accord de Vienne. Elles donneront des éléments sur le déroulement de la crise, presque résolue avant le changement de cap des États-Unis, quand la sagesse l’emportait encore  sur le conflit politique.

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Grande nation de près de 80 millions d’habitants, l’Iran est une pièce maîtresse de l’échiquier au Moyen-Orient. Le pays surprend par sa modernité, sa jeunesse, son niveau d’éducation. Par sa taille, ses élites, il a les moyens de devenir une puissance atomique. Son programme nucléaire civil contesté est l’héritier d’un programme beaucoup plus ambitieux qui remonte au temps du Shah, époque où les USA ne trouvaient rien à y redire. De nombreux facteurs politiques, géographiques, économiques et historiques se sont conjugués pour donner un tour aigu à la crise résultant de ces ambitions nucléaires.

Parmi les facteurs historiques, rappelons le renversement en 1953 du gouvernement du docteur Mossadegh à la suite de la nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company suivi du rétablissement par les États-Unis du Shah Mohammed Reza Palhavi. Quand celui-ci fut renversé lors de la révolution Khomeyniste de 1979, l’ambassade américaine fut prise d’assaut et 52 américains furent pris en otages 444 jours, une humiliation dont les conséquences se font encore sentir. La toute jeune république islamique fut ensuite attaquée par Saddam Hussein avec le soutien tacite des puissances occidentales qui l’avaient mal acceptée. Cette guerre de 8 ans, oubliée en occident, mais extrêmement longue et meurtrière a laissé de profondes cicatrices.

Après le 11 septembre 2001 et au nom de la lutte contre le terrorisme, le président américain George Bush classa en janvier 2002 dans un discours célèbre l’Iran dans l’axe du mal, bien qu’il n’ait pas été impliqué dans ces évènements et que les attentats les plus sanglants en Irak visent la communauté chiite proche de l’Iran. Une faute politique, car l’Iran était alors dirigé par un parti réformateur avec à sa tête Mohamed Khatami un président respecté et pacifique. En réponse, l’Administration Bush qui avait regardé de haut une proposition du gouvernement réformiste iranien de Mohammed Khatami offrant un large accord sur le programme nucléaire entre autres, préféra garder l’Iran dans son axe du mal.

Ensuite, des menaces de bombardements, des accusations parfois gratuites, des intentions affichées de renverser le régime, le refus du dialogue d’un côté, et de l’autre l’obstination et les provocations verbales des partisans d’une ligne dure au pouvoir à Téhéran ne firent que durcir le bras de fer jusqu’en 2013.

8 août 2005 : La reprise de la conversion relance la crise
Techniciens iraniens à côté d’un conteneur de yellow cake à l’usine de conversion d’Ispahan. La conversion consiste à transformer l’uranium sous la forme gazeuse d’hexafluorure et précède l’étape de l’enrichissement en uranium-235 La reprise en août 2005 de cette activité préliminaire à l’enrichissement en isotope-235 de l’uranium, relança la crise. L’Iran mettait fin à la suspension de ses activités qu’il avait acceptée en octobre 2003, jugeant les propositions faites par la troïka européenne (Grande-Bretagne, France, Allemagne) insuffisantes.
© AP/MEHDI GHASEMI

Le dossier iranien fut transféré en 2006 de l’AIEA au Conseil de Sécurité de l’ONU. Sous l’impulsion des États-Unis, le Conseil a voté des résolutions enjoignant à l’Iran d’arrêter l’enrichissement accompagnées de sanctions.

Ces sanctions, adoucies au départ par la Russie et la Chine, étaient associées dans l’esprit de leurs promoteurs à des offres de dialogue, mais ces offres étaient conditionnées à ce que l’Iran arrête ou suspende au préalable son enrichissement, ce qu’il refusait de faire en partie par un manque de confiance nourri par le passé et des années d’isolement et d’hostilité.

Cette combinaison de menaces et de sanctions eut pour effet malencontreux de réduire les inspections cruciales de l’AIEA au minimum. L’Iran continue d’affirmer que son programme nucléaire est uniquement civil alors que les occidentaux l’accusent de rechercher sous ce couvert l’arme atomique. Contrairement à la Corée du Nord, les inspections de l’AIEA n’ont pas mis en évidence l’existence d’un tel programme mais il existe aux yeux des puissances occidentales des soupçons nourris par les ambiguïtés des autorités iraniennes.

Il faut espérer que les hommes de bonne volonté finissent par l’emporter. Comme le dit une fois l’ancien directeur de l’AIEA, Mohammed El Baradei, on ne bombarde pas le savoir-faire. Une politique de petits pas, sans hostilité inutile, peut contribuer à rétablir une confiance mutuelle ébranlée et à faire évoluer la République Islamique qui eut à surmonter soumise de fortes turbulences lors des troubles qui suivirent l’élection présidentielle du 13 juin 2009.

En 2009, l’arrivée d’une nouvelle administration à la Maison Blanche a apporté un temps un souffle d’air frais. Contrairement à son prédécesseur, le président Obama a prôné le dialogue et le respect mutuel. Mais la prudente réponse de Téhéran (nous attendons des actes et pas seulement des mots) a été emportée par les troubles de juin 2009 et certains en Occident continuent de penser bâton plutôt que carotte. L’ouverture du Président s’est trouvée contredite par les efforts de la diplomatie américaine pour dresser contre l’Iran chiite ses voisins sunnites du Golfe Persique et accentuer son isolement avec des “sanctions qui mordent“.

Centrifugeuses IR-1 ou P1
Lors d’une visite en mars 2008 de l’usine souterraine de Natanz, Mr. Ahmadinejad accompagnés d’officiels et de journalistes iraniens, passe devant des rangées de centrifugeuses de type IR-1. Ces centrifugeuses IR-1 de première génération ont été développées en Iran à partir d’un modèle pakistanais connu sous le nom de P1. Ces centrifugeuses sont constituées d‘un tube d’environ 2 m de haut contenant un rotor en aluminium tournant à très grande vitesse dans lequel est introduit l’hexafluorure d’uranium. Au printemps 2009, 7000 de ces centrifugeuses avaient été installées et avaient enrichi 1,2 tonne d’uranium à 4%.
© Photo: Iran’s Presidency Office/European Pressphoto Agency

Le 9 juin 2010, le conseil de sécurité a adopté un nouveau train de sanctions. Ces sanctions ont été durcies hors ONU par les américains imités par l’Union Européenne. Il s’agissait de faire plier le régime et de l’amener à négocier en s’attaquant à l’économie du pays (pétrole, banques) grâce à des sanctions qui affectent la population. La décision en décembre 2011 du président Obama de s’en prendre directement aux exportations de pétrole, principale source de la richesse, a surtout apporté de la misère. L’Europe a suivi et l’embargo pétrolier a pris effet en juillet 2012. Que penser d’une politique visant à étouffer l’économie et touchant principalement une population innocente ? Le régime pliera-t-il devant le diktat ? Sera-t-il renforcé ? Les blocus soudent généralement les nations !

La crise illustre combien les risques de prolifération iront croissant du fait des progrès technologiques. Le seul moyen de combattre efficacement à long terme cette évolution est de convaincre les pays qui atteignent le savoir-faire requis qu’ils ne sont pas menacés et que la recherche d’une dissuasion par l’arme atomique est inutile et coûteuse. Cette aggravation des sanctions qui creuse davantage l’abîme de méfiance et les paranoïas mutuelles, va hélas en sens inverse.

Un motif d’espoir fut l’élection à la présidence de l’Iran d’un modéré, Hassan Rohani. À la suite de cette élection, un accord fut signé en novembre 2013 à Genève entre les autorités iraniennes et les puissances occidentales. La main tendue devint celle de l’Iran. L’Occident répondrait-t-il à cet homme digne ? Saurait-il lui parler, comme demandé, le langage du respect, non celui des sanctions ?

Aux termes d’un accord à Genève, l’Iran s’engagea à geler ses activités les plus controversées et à faire preuve de transparence. En échange, les puissances occidentale atténuèrent certaines sanctions dont les plus critiquables s’en prenaient aux populations.

Quand cette grande nation émergente sera réintégrée dans le concert des nations, elle trouvera bien cher de fabriquer son combustible nucléaire. Si les iraniens désirent vraiment développer l’atome civil, ils auront tout à gagner d’une collaboration internationale, à travers laquelle s’établissent des liens et se tisse la confiance.

COMPLÉMENTS SUR NUCLÉAIRE IRANIEN

– : Activités nucléaires civiles de l’Iran
– : Nucléaire iranien 2002-2011
– : Activités anciennes suspectes
– : Centre souterrain de Fordo
– : Réacteur à eau lourde d’Arak
– : Les vicissitudes du réacteur de Busher
– : Le petit réacteur pour la médecine de Téhéran